La CAN a été retirée au Cameroun, c’est un fait et c’est douloureux. Certains Camerounais, qui ont juré depuis des années d’en finir avec Biya, y voient un motif supplémentaire pour exhaler leur haine, le traitant du plus grand dictateur de tous les temps, le plus incompétent, le plus paresseux, le plus nul. Spécialisés dans le montage en épingle de toutes les failles du système gouvernant, ils espèrent comme d’habitude instrumentaliser cet épisode pour créer une insurrection populaire, notamment dans une ambiance où une frange particulièrement agressive et avide revendique le pouvoir qu’il aurait gagné par les urnes.
Ce groupe reste fidèle à lui-même et il n’y a rien à redire à son projet et ses méthodes.
D’autres cherchent les raisons de la débâcle dans les succès footbalistiques du Cameroun qui auraient développé une jalousie si prégnante que des pays rivaux ont érigé le nôtre en une bête à abattre. Cette interprétation peut se soutenir par des arguments plus ou moins probants, comme ce passage de 16 équipes à 24 équipes qu’on peut légitimement qualifier de guet-apens.
Il n’évacue ascendant pas le problème de fonds. Les élites qui soutiennent ce point de vue savent très bien que par nature, le Camerounais est méchant et malveillant. Ils ont dans leur propre vécu l’expérience de la haine et de la jalousie, car leur propre succès politico-administratif ne leur attire pas que des admirateurs : on l’impute volontiers, non à leur valeur intrinsèque, mais à des pratiques noires (réseaux, homosexualité, magie, etc.).
Mais est-ce que cela les empêche de prendre des mesures contre ceux qui ne les aiment pas ? Le monde par essence est darwinien ! Celui qui réussit est d’office l‘objet d’une agression permanente de ceux qui échouent !
Pourquoi voulez-vous que les gens nous fassent des cadeaux quand nos succès sont un symbole de leur humiliation ? Il ne fallait pas le Cameroun leur donne l’occasion d’appliquer leur méchanceté à son encontre, un point c’est tout!
Et c’est là que nous avons péché ! Nous avons donné à nos ennemis tous les arguments pour appliquer leur méchanceté. De manière objective, qui pouvait soutenir qu’avec ses méthodes, le Cameroun pouvait être prêt pour la CAN 2019 ?
Depuis 2009, le Cameroun a engagé de lourdes opérations d’investissement, à travers son Programme des Grandes Ambitions. Une grave erreur technique, puisqu’un tel programme n’a de sens que dans deux cas :
1. Le cas où le pays produit lui-même sa propre technologie, auquel cas il mobilise ses facteurs de production internes et mène ses réalisations. Les cas les plus célèbres de ce genre d’expérience sont le New Deal de Roosevelt, la montée d’Hitler et les réalisations de Staline.
2. Le cas où le pays dispose d’énormes réserves en devises pour financer les importations en outils de production, ce qui se constate notamment pour les grands producteurs de pétrole. Ils réalisent alors leurs investissements en les achetant directement.
Le Cameroun, qui ne produit aucune technologie, obéit à ce second cas de figure. Quand il accède à l’indépendance, sa population est essentiellement rurale, inculte et reste plombée dans des modes de consommation archaïque qui ne requiert pas l’utilisation des devises. Et alors que cette population produit, à travers le cacao, le café et le coton, un gigantesque monceau de devises, elle ne les consomme pas !
L’ONCPB qui gère cet argent se retrouve avec plus de ressources que tout le reste du système productif réuni ! Autrement dit, l’ONCPB avait plus d’argent que toutes les banques, toutes les entreprises, tout l’Etat et toute la population camerounaise réunis!
Le président Ahidjo peut donc utiliser cet argent pour bâtir le Cameroun, d’où une succession incroyable de réalisations spectaculaires :
-les grands blocs Ministériels (MINEFI, Postes, MINEDUB, etc.) et d’autres bâtiments (Immeuble SHELL, etc.)
-les Grands Hôtels
-l’Université et les Grandes Ecoles
-le Transcamerounais
-l’axe lourd Ngaoundéré-Garoua-Maroua-Kouseri
-les barrages hydroélectriques (MBAKOAOU, etc.)
-les Grands Stades Omnisports (Yaoundé, Douala, Garoua)
Au moment où l’argent de l’ONCPB s’épuise, le pétrole vient fortuitement prendre le relais. Les pouvoirs publics ont la rare lucidité d’affecter ces ressources à l’investissement, et réalisent notamment:
-la route Yaoundé-Douala et la route Yaoudé-Bafoussam, ainsi que d’autres bretelles
-le Palais de l’Unité, le Palais des Congrès, la CRTV, l’Immeuble de l’Enseignement Supérieur, l’Immeuble de la Mort (inachevé)
Mais tout développement exclusivement fondé sur des devises crée son propre frein ! Car il génère, à travers la scolarisation et l’urbanisme, de nouveaux Camerounais qui ont exactement des caractéristiques inverses des anciens Camerounais. Ces nouveaux Camerounais sont cultivés et vivent dans les villes. Prétentieux, arrogants, ils lisent dans leurs diplômes le droit à une vie de Blanc et eéveloppe pour cela un mode de consommation particulièrement extraverti. Alors qu’ils ne produisent aucune devise, c’est bien eux qui en consomment massivement, à travers les voitures de luxe, les champagnes, les villas en marbre, les voyages touristiques et les ketchups !
Et voilà le blocage du Cameroun : les maigres devises travaillées par la paysanneries sont absorbées en biens de consommation par les nouveaux Camerounais. Il n’y a donc plus rien à investir.
Les nouveaux Camerounais ont continué à importer massivement, plongeant le pays dans une dette massive et un crise sévère à partir de 1987. L’ajustement structurel qui a duré pratiquement vingt ans a juste permis d’annuler la dette massive, mais sans détruire les causes de la dynamique d’endettement qui est la modification de profil de consommation.
Et quand le Président Biya décide son programme des Grandes Ambitions, on ne voit pas très bien sur quoi il compte pour mener une telle opération et surtout de cette manière ! Le Cameroun n’a aucune capacité interne de réalisation des investissements, puisqu’il n’a aucune technologie. Il ne dispose d‘aucun flux de devises !
En réalité, et aussi étonnant que cela puisse paraître, les Économistes administratifs comptent sur le potentiel élargie d’endettement qu’a réalisé l’annulation de la dette ! Autrement dit, puisque nous étions endettés pour 140% du PIB et qu’à la suite de l’ajustement, nous ne les sommes plus qu’à seulement 10%, alors, autant utiliser cette énorme marge pour entreprendre un vaste programme d’investissement !
Un raisonnement absolument étrange qui va se doubler d’autres erreurs opérationnelles :
-un très mauvais choix des investissements à réaliser, avec un Bilan-devises particulièrement désastreux, les preneurs de décision au Cameroun étant particulièrement allergiques aux évaluation d’impacts macroéconomiques ;
-une absence quasi-totale des mesures d’accompagnement en dehors du lilliputien Comité de Soutien à la Balance de Paiements, empêchant la valorisation optimale des réalisations
– un très mauvais casting des gens chargés de mener une politique économique aussi complexe, car on a pu voir, dans un moment aussi critique, un empilement de 7 premiers responsables chargés de la politique économique dont aucun n‘était économiste !
1. Le Président Biya n’est pas Economiste-
2. Le SG/PR n’était pas économiste
3. Le Premier Ministre n’était pas économiste
4. Le SG/PM n’était pas économiste
5. Le Ministre de l’Economie n’était pas Economiste
6. Son Ministre Délégué n’était pas économiste
7. Le SG du MINEPAT n’était pas Economiste !
De manière objective, que pouvait-on obtenir ? Le pays ne pouvait que voguer dans l’amateurisme et les convictions erronées fondées sur des approximations politiciennes ! Quand on a des gens qui, à la moindre objection technique, vous rétorquent que ce sont les instructions du Chef de l’Etat, on s‘attend à quoi ? Pour ces gens, le fait que Président Biya puisse améliorer leur niveau de vie en leur donnant des postes s’étend sur la nature elle-même : en conséquence, le Chef de l’Etat peut décréter qu’il n’y n’a plus de moustiques à Douala et les moustiques vont obtempérer en abandonnant Douala !
A lieu de s’entourer des gens qui l’aident dans son travail, le Président Biya s’est entouré d’adorateurs !
La conséquence ? Un programme d’investissement incohérent et improductif, constitué essentiellement de demi-réalisations qui essaiment le Cameroun ! Tout est entamé et rien n’est finalisé ! Un programme économique manchot, avec des investissements impossibles à valoriser et qui sont devenus de nouvelles sources de dépenses et non des sources de revenus!
En 2014 justement, le Chef de l’Etat tente de redresser la barre à travers un programme de rattrapage appelé Plan d’Urgence. Et c’est précisément à ce moment que surgit cette histoire de la CAN qui vient ajouter une contrainte supplémentaire à un système déjà trop contraint !
La CAN est un événement particulier circonscrit dans le temps. Vous ne pouvez pas renvoyer un aspect, ce qui créait objectivement une compétition sur les ressources déjà rationnées avec le Plan d’Urgence. Il était donc naturel qu’on retarde un peu les travaux de la CAN dont l’échéance était encore de 5 ans. Et on perdra ainsi deux ans, avant que le Gouvernement prenne brutalement conscience que le temps passe.
Et cette prise de conscience se fera dans des conditions pires ! Les mauvais signes économiques se font sentir, avec une dette qui commence à inquiéter, sans compter l’épuisement des réserves de change entretenu par un déficit courant abyssal.
Bien plus, les dépenses sécuritaires explosent. Le Cameroun combattait BOKLO HARAM, mais celui-ci nous est pratiquement imposé et nous pouvons compter sur un puissant appui international. Du reste, sa nuisance a été considérablement amoindrie.
Malheureusement, il y a pire : la Sécession Anglophone, problème politico-militaire intérieur, pour lequel nous n’attendons aucune aide de l’extérieur et qui saigne le Trésor Public à blanc.
De toute façon, nous n’étions pas en condition d’organiser la CAN en 2019 et des gens avisés auraient dû saisir la perche tendue depuis un an, où on demandait au Cameroun de proposer lui-même le renvoi pour 2021 ou 2023.
Ce retrait apparait donc comme la conséquence logique de choix mal éclairés, une démarche davantage fondé sur des certitudes acquises et la foi que sur l’analyse et la raison, une logique de la flagornerie où des gens sont incapables de dire au Chef de l’Etat que tout n’est pas possible par la simple parole.
Il n’y a aucun complot contre le Cameroun, ou plus exactement, les complots apparaissent davantage comme des maladies opportunistes alimentées par un corps déjà affecté par le SIDA.
Mais plus fondamentalement, ce retrait est une alerte. Et si de véritables mesures ne sont pas prises dès maintenant, les conséquences de cette gouvernance vont nous exploser en pleine figure dans les deux années qui suivent, car, comme je l’ai toujours annoncé, voici ce qui va très probablement se passer :
-le CFA CEMAC sera effectivement dévalué et dans des proportions considérables ;
-le Cameroun connaîtra une importante baisse des salaires et une compression des effectifs de l’Administration Publique.
Ces événements sont pratiquement inéluctables. A moins que le Président Biya, qui tient maintenant le stylo pour faire son remaniement, aie le courage de se débarrasser de ses adorateurs pour les remplacer par des gens qui veulent vraiment l‘aider.
En aura-t-il le courage ?
Telle est la question !
Dieudonné ESSOMBA