J’observe autour de moi des modérés lacher prise, d’autres glisser peu à peu vers l’extrémisme, sans trop s’en rendre compte. Quelques téméraires se battent encore, avec l’énergie d’un nouveau-né, pour résister à cette vague qui à défaut de les emporter, entend au moins les étouffer. Dans ces querelles où la communauté est mangée à toutes les sauces, l’unique point de convergence entre les extrémistes est l’éradication des modérés, ces prêtres de la bonne conscience, ces imams du vivre-ensemble.
Les modérés sont en train de perdre progressivement la partie. Le problème est qu’ils ne s’en rendent pas encore compte. Alors qu’ils ne peuvent même plus s’exprimer librement, ils ont le sentiment d’être encore libres. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont désormais sur la défensive, recherchent à chaque fois l’équilibre pour ne pas être pris à partie par l’un ou l’autre camp, pour ne pas être confondus, suspectés. Ils réfléchissent de plus en plus à ce qu’ils disent, à l’interprétation que les uns et les autres feraient de leurs propos.
Les modérés sont prisonniers des extrémistes, mais ils ne s’en rendent pas compte. Ils justifient, argumentent, mais aussi longtemps que cela ira contre les intérêts d’une des parties idéologiquement en conflit, celle-ci lui opposera sa malice, son double-jeu, sa duplicité, le recours à la technique de la chauve-souris.
Les modérés croient trouver le salut dans l’équilibre des fautes imputables à chaque partie, dans la condamnation des agissements de toutes les parties. Les modérés croient décrocher avec leur bonne foi, le certificat de bonne conduite. Les extrémistes ne le leur délivreront pas, parce qu’ils renchérissent le coût de la propagation du virus idéologique. Dans cette bataille historique, il n’y a pas de place pour ces empêcheurs qu’il faut rapidement disqualifier pour s’ouvrir les voies de la victoire finale.
Les modérés pensent être en dehors du conflit. Non, ils se trompent. Ils en sont partie prenante. A eux la défaite ou la victoire. Quelle idée se font-ils des extrémistes ? Irresponsables et inconscients qu’ils sont, se disent-ils. Pour les extrémistes, les modérés sont tout bonnement de petits aveugles qui ne voient ni ne cernent le danger qui guette leur communauté. Il faut donc les convaincre. Ça c’est au mieux. Au pire, s’ils persistent à rester dans les ténèbres, ils sont affublés du doux qualificatif de traître. Pour la cause, il faut les discréditer, les éliminer. Pour le bien de la communauté. J’assiste à ça, j’observe comment peu à peu des cerveaux solides se résignent, des bouches se taisent dangereusement. C’est encore mieux que de rejoindre le camp des extrémistes non ?
GUIBAI GATAMA, Editorialiste Journal le Sahel