Cela semble bizarre, mais en apparence, la France était jusqu’ici très attentiste sur la situation du Cameroun. Les pressions de ses partenaires occidentaux vont l’amener à oser des initiatives.
Il y a des coïncidences quand même troublantes sur la situation actuelle du pays. Et la semaine dernière nous a livrés deux cas d’école. Le débat contradictoire au Parlement européen qui a abouti à la condamnation des pratiques politiques du régime de Paul Biya accusé de brutalités teintées d’incompétences dans la gestion des libertés publiques et de la crise anglophone et puis les indiscrétions prêtées à l’ambassadeur Gilles Thibault. Dans le premier cas, les spécialistes de la politique extérieure française s’étonnent que le Cameroun dans le cas d’espèce n’ait pas été défendu et soutenu par les membres de la majorité gouvernementale en France.
Le travail a été sous-traité à deux députés de l’opposition, notamment des élus du Front National qui se sont retrouvés à lire le plaidoyer qui en temps normal, devrait être porté par la France officielle dont le soutien est pourtant totalement acquis au régime en place à Yaoundé. Pourquoi les élus du parti de Monsieur Emmanuel Macron procèdent-ils comme s’ils avaient honte de leur protégé de Yaoundé ?
On a un début de réponse dans les indiscrétions fortement relayées sur les réseaux sociaux et prêtées à Gilles Thibault, l’ambassadeur de France au Cameroun (lire ci-contre). Dans celle-ci, le diplomate semble envisager l’étrange option d’adouber le fils du Président pour succéder à son père dans un schéma tellement irréel et tatillon qu’on voit vite son impréparation. Cela semble une innovation sur laquelle, c’est seulement maintenant que les experts vont s’y pencher pour la rendre opérationnelle. Or ce n’est pas aujourd’hui que le régime de Paul Biya montre des signes d’essoufflement.
A fortiori, la diplomatie française n’est pas seulement prise de court dans l’édification d’un scénario post Biya, elle a été manifestement aussi prise de court lors de la session du vote au Parlement européen, le gouvernement de Monsieur Emmanuel Macron ayant compris sur le tard que ses alliés occidentaux n’entendaient pas lui laisser seul l’initiative sur le Cameroun. Leur détermination étant telle que l’issue du vote ne faisant aucun doute, il a fait le dos rond en envoyant au casse-pipe les députés du FN, montés en première ligne au nom des intérêts extérieurs de la France.
Pour le gouvernement français, le vote du Parlement européen est un avertissement sans frais pour leur protégé de Yaoundé, mais les jours à venir ne seront pas un fleuve tranquille. Membre du Conseil de sécurité des Nations unies et co-leader de l’Union européenne avec l’Allemagne, la France a les moyens de faire jouer sa préférence mais est obligée par le jeu des dynamiques internes au sein du bloc occidental de tenir compte des visées de ses alliés.
Les Etats-Unis, l’Allemagne justement et la Grande Bretagne ne font plus mystère de leur détermination à obtenir l’alternance au Cameroun.
La France qui ne semblait pas l’avoir envisagée est bien obligée de s’y pencher sérieusement pour rester en phase avec ses partenaires contre qui, elle ne peut pas se payer le luxe de jouer en solo. Pour garder la main, la France va d’ailleurs être obligée d’aller un peu plus vite que ses partenaires parce qu’elle a le plus à perdre dans une éventuelle redistribution « incontrôlée » des cartes dans le Golfe de Guinée en proie à des appétits divers.
Depuis la colonisation, indifféremment des gouvernements qui se succèdent à Paris, il y a une convergence sur la politique africaine de la France. “L’amitié qui nous lie à l’Afrique fait de la France, une puissance moyenne sur le plan démographique, une puissance planétaire du fait de nos partenaires africains” confessait Monsieur Guy Penne, (Homme politique de Gauche), ancien ministre français de la Coopération.
Pierre Messmer (Homme politique de Droite), ancien gouverneur colonial français au Cameroun puis plus tard Premier Ministre de France, disait du Cameroun qu’il est une clef de voûte dont la perte couterait à la France toute l’Afrique équatoriale.
Qu’ils soient donc de Gauche ou de Droite, voire de l’Extrême Droite, les dirigeants politiques de la France savent qu’ils doivent adopter la même politique africaine pour garantir l’intérêt de leur pays.
Un intérêt que Paul Biya a jusqu’ici assuré avec brio, les empêchant d’envisager toute alternative à son magistère jusqu’à ce que leurs alliés occidentaux ne commencent à les mettre sous pression. Aujourd’hui, l’Elysée et le Quai d’Orsay vont devoir s’ouvrir à toutes les options pour préserver les intérêts de leur pays. En l’état actuel des choses, même pour la France, le départ de Paul Biya ne peut plus être une option taboue.
Michel Eclador PEKOUA
Source : Ouest Echos n° 1076