Les enseignements de la guerre commerciale US/Chine
La fin de l’unilatéralisme géoéconomique des USA. Il y a trois décennies, les US ont initié le libre-échange, sûrs de leur avance technologique. Ils ont dominé le jeu et engrangé des bénéfices record. Or, c’était oublier la deuxième manche. Paul Sameulsen appelle cela « the second leg » : les délocalisations ont engendré la désindustrialisation en Europe et aux Etats-Unis alors que les clauses de transfert de technologie et la politique des petits prix ont permis à la Chine de monter en garde. Après un apprentissage rapide et méthodique, la Chine est plus que jamais un contrepouvoir mondial, qui empêche Washington d’imposer des règles unilatérales du libre-échange. Huawei est emblématique de cette ascension fulgurante ; il y a vingt ans, c’était un no name, aujourd’hui, elle a coiffé Apple pour se positionner comme le deuxième fabricant de smartphones dans le monde, derrière Samsung. De plus Huawei a pris une avance résolue en matière de 5G. Si les entreprises de télécom américaines et européennes devaient passer à la 5G en l’état actuel des choses, ce serait fatalement avec Huawei. Pour faire un clin d’œil à nos amis ivoiriens, on peut dire que Washington a rencontré garçon. Pékin est devenu si fort que Trump a de la peine à rallier tous les Européens à sa cause anti-Huawei.
Les destins sont plus que jamais interconnectés. Washington a plus de marge, puisqu’il a plus de produits importés de Chine à taxer, la balance commerciale étant déficitaire de l’ordre de 375 milliards $. Toutefois, chaque décision de Trump visant la Chine produit des effets collatéraux à Wall Street, au point où Trump baisse le ton. Exemple : quand il interdit aux entreprises américaines de vendre des services made in America à Huawei, Google se plie, en retirant les mises à jour d’Android à ce dernier. Wall Street s’enrhume, à juste titre, les entreprises de technologie américaines vendent des services pour 11 milliards $ à Huawei. Alphabet est sanctionné. Résultat des courses, Trump revient avec un sursis : la mesure entrera en vigueur dans trois mois.
Le protectionnisme est la réalité, le libéralisme le dogme. Nous apprenons que le libéralisme n’est pas sacré. Pékin applique une batterie de mesures protectionnistes que les USA dénoncent sans pour autant déroger à la règle. Tenez, grâce au Buy American, au Buy America Act ou au Small Business Act, les marchés publics américains sont partiellement verrouillés, certains secteurs étant réservés à hauteur de 40% aux PME US. A l’OMC, les USA sont le pays le plus visé par les plaintes d’entrave au libre-échange. Le Committee on Foreign Investment in the United States of America (CFIUS) permet au président US de mettre son veto sur tout projet de cession d’entreprise américaine si la sécurité économique du pays en en cause. Trump l’a utilisé à 10 reprises au cours de ses 12 premiers mois à la Maison blanche, 8 fois contre Pékin ! C’est d’ailleurs le CFIUS qui a empêché que Jack Ma mette la main sur MoneyGram.
Il n’y aura pas de gagnant. C’est un jeu d’équilibrisme, chaque partie sait qu’elle doit coopérer avec l’autre tout en la challengeant. Il suffit de disposer d’avantages décisifs qui font défaut à l’autre. La Chine en a, les USA aussi. La guerre économique est une guerre tiède, ni froide, ni chaude. Tant que l’administration Trump sera aux affaires, les échauffourées continueront, mais personne ne franchira la ligne rouge, les échanges commerciaux se poursuivront, parallèlement aux menaces et aux négociations. Xi Jinping et Trump ne sont pas des ennemis, ce sont des partenaires engagés dans une relation de coopétition : à la fois coopération et compétition. Du reste, ils se rencontreront en juin, au Japon, en marge du sommet du G8. Pekin a affirmé qu’il n’est surpris par aucune des mesures de Trump. Il s’y préparait depuis des années !
La subtilité est la marque de fabrique de la géoéconomie actuelle.
Deux défis à relever pour les pays africains : bien structurer l’économie d’une part, et, d’autre part, protéger des secteurs stratégiques. Etre en mesure de s’asseoir à table pour parler de libre-échange, tout en verrouillant certains secteurs. En Ethiopie, la banque, les assurances et la grande distribution sont verrouillés, les étrangers en sont exclus. Cela permet d’aguerrir des entrepreneurs locaux afin de les rendre prêts à faire face à la compétition. Mais, en même temps, l’Ethiopie figure au nombre des nouvelles destinations des capitaux, comme le Vietnam…
Source:Maurice Simo Djom