J’ai une surprise pour vous, chers compatriotes policiers, chers compatriotes gendarmes.
Je sais qu’aucun de vous ne s’y attend, mais je suis venu vous féliciter. C’est par ailleurs le grand objet de ce message. Il ne s’agit pas ici d’un humour mal placé. Je viens réellement vous féliciter du grand travail que vous avez accompli lors de la marche citoyenne du 1er juin 2019.
Vous ne vous en êtes peut-être pas aperçus vous-mêmes, mais vous avez opéré une nette évolution par rapport à l’infernal épisode du 26 janvier. On n’ira pas jusqu’à dire que samedi dernier ne fut pas brutal, loin de là, mais trois choses n’ont pas manqué de retenir cette fois notre attention : primo, vous n’avez pas déporté les personnes arrêtées de leur ville vers Yaoundé, secundo, vous n’avez tiré de balle sur personne, et tertio, vous avez libéré une bonne partie des détenus en l’espace de 48 heures, alors que les hommes de janvier y sont encore.
L’air de rien, ce fut une progression gargantuesque.
Sans le savoir, peut-être aussi sans le vouloir, vous nous avez envoyé une information importante : vous n’êtes pas les monstres que l’on prétend. Vous n’êtes ni dénués d’humanité, ni animés du désir de nuire à autrui. Et soudain, ce qui hier paraissait impensable est devenu probable aujourd’hui. Un verrou imprenable a sauté : nous avons compris qu’à long terme, vous et nous pouvons bel et bien réussir à nous entendre. Et nous réussirons bien à nous entendre.
Alors, je lance une bouteille à la mer
Bien sûr, aucun miracle ne se produit du jour au lendemain. Nous n’avons pas manqué de relever les sévices commis par les plus farouches d’entre vous sur nos concitoyens, hommes et femmes confondus. Nos yeux ont vu la fougue avec laquelle d’aucuns étaient jetés dans vos camionnettes. Nos pupilles ont pu scanner les hématomes sur le corps de certains de nos frères et sœurs, et nos tympans ont enregistré leurs témoignages déchirants. La perfection n’existant pas, nous avons choisi de ne pas vous en vouloir. Vous n’avez fait qu’obéir aux ordres.
Vous l’avez fait au nom de la république. Car vous êtes convaincus de faire le bien. Vous êtes convaincus d’être du bon côté. Vous êtes convaincus d’être « la raison d’Etat », et que les revendicateurs sont des « rebelles insurrectionnistes ». Je vous comprends parfaitement. Je penserais pareil à votre place. C’est la logique de toute guerre, qu’elle soit idéologique ou militaire : celui qui détient la vérité, c’est celui qui possède la puissance de feu. Voilà pourquoi en fermeture de rideau des deux guerres mondiales; les perdants furent à jamais considérés par l’Histoire comme les méchants.
Mais moi, je lance une bouteille à la mer
Dans l’absolue certitude qu’elle vous parvienne.
Car ce n’est pas vous qui concevez la répression. Vous n’êtes que le bras exécutant des décisions prises par des tiers. Par ceux qui prennent l’argent du contribuable pour une donation privée ; ces gens qui, financièrement, économiquement, politiquement et culturellement, ruinent notre nation à longueur de décennie et en toute liberté, pendant que de simples marcheurs subissent la répression. Eux, les véritables fossoyeurs hostiles au progrès, et qui excellent dans le transfert de culpabilité en inculpant des femmes de ménage pour « hostilité à la patrie »
Ce sont eux que nous avons appelé « Le Gang de Malfrats »
Ils sont eux, la racine du mal. Pas vous, les forces de l’ordre.
Je vais encore vous surprendre en vous disant : « Non. On n’est pas toujours obligé de respecter la loi! ».
Car, pour qu’une loi soit respectée, il faut qu’elle soit fondée sur la légitimité ( Vous savez, cette jolie pièce bien aménagée où habitent l’équité, l’éthique et la raison ). Il ne faut pas qu’elle soit motivée par la volonté exacerbée de conservation du pouvoir, comme on le vit actuellement chez nous. La décision d’une autorité représente certes la légalité, mais il y a des décisions illégales, pensez y. Faites un examen de conscience et demandez-vous : « Interdire systématiquement les marches est-il légal dans un État de droit? »
Est-ce illégal de marcher pour qu’une autoroute ne coûte plus 11 millions de dollars par kilomètre ? Pour qu’un réel dialogue ait lieu en zone anglophone ? Pour que la lumière soit faite sur les fraudes des processus électoraux dans l’optique d’un pays transparent à l’avenir ? Pour que la loi électorale soit réformée ? Pour que l’irrespirable détournement de la CAN soit clarifié ? Quel Camerounais possédant tous ses sens peut trouver cela illégal ?
Je lance une bouteille
Une bouteille à la mer
Ces hommes rompus au système, ce Gang de Malfrats, ne se soucient pas du Cameroun, ni de la stabilité de l’Etat, mais de la stabilité de leur fonction, de leur forfaiture et de leur fortune (FFF). Ils veulent continuer à piller, à tricher et à jouir d’un bonheur au prix du moindre effort. C’est parce qu’ils pensent que nos marches vont réveiller un peuple dont ils se sont trop – beaucoup trop – nourris de la somnolence et de la naïveté, qu’ils vous ordonnent d’être aussi bestiaux que possible. Mais ça, ce n’est pas vous.
Et je lance une bouteille à la mer
Car vous n’êtes pas obligés de faire ça.
Soyez-en certains : J’aime autant le Cameroun que vous. Personne n’a le monopole du patriotisme. Beaucoup auraient pu profiter du fait d’être en terre étrangère pour changer de nationalité, mais je tiens fort à mon passeport camerounais, malgré tous les problèmes qu’il m’apporte. C’est l’un des pires passeports au monde, mais je tiens à rester ce que j’ai toujours été, et à le garder quoiqu’il arrive. Il est aussi vert qu’un plat d’Okok, mon menu préféré après une nuit dans une marmite sans couvercle. Nous aimons tous ce pays qui est le nôtre, et nous l’aimons de la même manière.
Aimer le Cameroun, ce n’est pas aimer Paul Biya. Aimer le Cameroun, ce n’est pas dire que tout va bien et qu’on est sur la voie de l’émergence alors qu’on sait bien que c’est ultra faux. Et nous ferons que cela sorte de la tête de notre peuple. Dans toute l’Afrique subsaharienne, nous sommes l’un des pays à avoir opéré la marche arrière la plus époustouflante de l’histoire humaine. Rien ou presque ne marche à la maison. Et nous avons tout perdu, jusqu’à l’organisation d’un championnat dont nous sommes pourtant le deuxième pays le plus titré d’Afrique ( sur 55 ) après l’Égypte.
Jamais dans l’histoire, on n’avait vu pareille déchéance.
Vous trouverez dans cette bouteille, mon désir de vous voir comprendre ce peuple qui se lève lentement, mais sûrement.
Obéissez aux ordres qu’on vous donne. C’est le credo d’une république, même en matériau d’occasion. Interpellez les gens s’il le faut, mais ne méprisez, et ne faites de mal à personne. La dignité humaine prime sur les clivages politiques. Car voyez-vous, vous créez sans le vouloir, de véritables monstres : des hommes qui jubilent de l’arrestation de compatriotes qui ne leur ont pourtant causé aucun tort, des femmes qui restent de marbre devant la souffrance d’autres femmes, et qui clament que celles-ci ont mérité vos sévices parce qu’elles sont descendues réclamer un peu de justice. c’est tout simplement effrayant.
Chaque homme, chaque femme que vous brutalisez est un frère, une fille, une sœur, une mère pour quelqu’un. Vous n’aimeriez pas voir votre fille ou votre mère humiliée pour avoir mis un pied devant l’autre. Alors quel intérêt de l’appliquer sur la mère, le frère d’autrui? Cela n’allonge, ni ne raccourcit aucun de vos jours, et n’augmente nullement votre salaire.
Comprenez notre combat pour un Cameroun plus juste. Car même vos familles sont victimes du délabrement de notre pays, et nous le savons. Cela semble un doux paradoxe : au final, nous ne nous battons pas contre vous, mais pour vous.
Une bouteille à la mer
Si vous blessez un marcheur, que fera t-on du prévaricateur? Si l’on perfore la jambe d’un homme sans arme, quel sort doit attendre celui qui tire et déclare « Lève-toi et marche! »? A quel moment avons-nous perdu la tête et inversé ainsi l’échelle d’indignation ? Je lance une bouteille pour le savoir.
Car selon cette logique, le Gang de Malfrat recevrait chacun, 37 coups de matraque sur chaque atome de son corps
( Et il y a des milliers de milliards d’atomes dans un individu ).
Je lance une bouteille à la mer, certain que la houle et les vagues la transporteront à vous. Ce n’est pas le meilleur canal pour transmettre un message, mais l’océan recrache toujours sur la rive ce qu’il a avalé. Alors cette lettre dans la bouteille vous parviendra. Qu’elle se laisse porter par les flots, et qu’un enfant la ramasse sur la rive. Ce sera peut-être Martha, du haut de ses 4 mois, ou alors ce brave enseignant dont la tête gît encore sur la chaussée de mes cauchemars.
Je lance une bouteille
Rien, rien, même pas la politique, ne mérite qu’un être humain meure pour elle. Tous les conflits se terminent toujours par le dialogue, alors pourquoi se faire violence d’entrée, sachant là où ça nous mènera de toute façon? Pourquoi ne pas dialoguer tout de suite? Dans un monde rationnel nous aurions fait équipe : le peuple et les forces de l’ordre … contre le Gang de Malfrats.
Je lance une bouteille à la mer
EKANGA EKANGA CLAUDE WILFRIED
( Ne torture pas un détenu aujourd’hui, car demain, tu pourrais te retrouver à l’appeler « Excellence », et ce serait très embarrassant ) — Il etait une fois, l’Apartheid etait legal.