Cinq mille personnes attendues à la manif anti-Biya, samedi à Genève
L’opposition à Paul Biya prévoit une grosse manifestation devant l’Hôtel Intercontinental, samedi. Les défenseurs du président vont aussi se faire entendre.
Par Richard Étienne
On surnomme quelquefois l’Intercontinental l’«hôtel des Africains» tant il a pu être prisé de la clientèle de ce continent. Sa réputation n’est pas usurpée ce vendredi. Des hommes en costume, africains, quadrillent les quatre coins du hall principal, à l’étage, à l’extérieur, au rez-de-chaussée, dans les couloirs. Certains déambulent, d’autres sont assis. Ils surveillent, attendent. On en dénombre une douzaine, sans compter une dizaine d’autres, en tenue décontractée, sur des canapés. La police genevoise est également présente.
Le café, ici, coûte 8 francs. Dans les couloirs, des salles sont réservées pour des meetings onusiens. Tout est calme, mais demain, la diaspora camerounaise annonce une tempête.
Au téléphone, un membre de la «cellule opérationnelle de la Brigade Anti Sardinards» (BAS), qui se fait appeler «Kamoua la Panthère», fait savoir qu’une manifestation est prévue samedi sur la place des Nations, puis devant l’hôtel, et qu’«au bas mot, 5000 personnes sont attendues».
Deux manifestations autorisées
«Les gens viendront de France, Belgique, Allemagne, Angleterre, de Suisse mais aussi des États-Unis et du Canada», selon Caroline Pegang, une figure de la BAS rencontrée vendredi à Genève. «La BAS réunit la diaspora en colère contre Paul Biya, réélu frauduleusement en octobre», dit-elle. Ce collectif a organisé plusieurs manifestations en Europe ces derniers mois.
Le Département de la sécurité du Canton a reçu deux demandes, qu’il a acceptées sous réserve que certaines clauses soient respectées. L’une émanerait d’un collectif défendant le président, l’autre, plus grande, de la BAS. Il y aura donc deux manifestations. Des sources croient savoir que le régime de Yaoundé a recruté des mercenaires pour infiltrer celle de la BAS et y distiller la violence.
Le 18 mai, une marche de la BAS à Paris aurait rassemblé 20’000 personnes, selon Caroline Pegang. Le 22 juin, elle était à devant la Maison-Blanche, à Washington, pour une autre manifestation. «11’000 personnes sont venues pour le Game Over.» La fin de la récréation, selon les opposants, pour le régime de Paul Biya, au sommet de l’État depuis 1982.
Kamoua la Panthère croit savoir que Paul Biya est parti mercredi à Lyon avec l’aide d’une société de déménagement suisse et que les «gorilles» de l’Intercontinental y restent pour faire diversion, mais d’autres disent qu’il est encore à Genève. En ligne, toutes les vérités circulent, souvent incorrectes. Une fausse carte d’identité suisse de Paul Biya est partagée. La diaspora a longtemps cru que le chef d’Etat séjournait aussi dans une maison privée au bord du Léman, ce qui est faux.
Guerre de communication en ligne
Sur les réseaux sociaux, les sbires du régime s’affichent dans les rues de Genève où ils préviennent, bouteilles de bière à la main, qu’ils vont sévir contre «ceux qui ternissent l’image du Cameroun». Un journaliste de la RTS a été molesté jeudi par des agents de Paul Biya.
Les manifestants estiment que le président pille les ressources de l’État en payant une fortune à l’Hôtel Intercontinental, souvent en cash, selon le «Wall Street Journal». Paul Biya serait un client régulier du palace depuis 1969. D’après le réseau d’investigation «Organized Crime and Corruption Reporting Project» (OCCRP), Paul Biya a passé 1645 jours à l’étranger, à titre privé, entre 1983 et 2017. Des pérégrinations qui auraient engendré des frais d’hôtel et de vol de 182 millions de dollars. Une nuit à l’Intercontinental coûterait au minimum 40’000 dollars à la délégation privée camerounaise, selon l’OCCRP.
Cette fois, Paul Biya serait venu pour se faire soigner. Des discussions ont eu lieu cette semaine en Valais pour trouver une solution au conflit opposant la communauté anglophone du pays au régime, mais Paul Biya n’y a pas participé, selon le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). «La visite privée du président Biya à Genève n’est pas liée au processus de facilitation», selon Pierre-Alain Eltschinger, porte-parole du DFAE.