Une médiation de la Suisse pour résoudre la crise anglophone au Cameroun ? C’est possible. Le Camerounais Chris Fomunyoh est le directeur Afrique du National Democratic Institute de Washington. Pour lui, la crise camerounaise suscite une vive inquiétude aux États-Unis.
RFI : Des discussions très discrètes en Suisse, est-ce que cela vous surprend ?
Chris Fomunyoh : Cela ne me surprend pas. Mais je crois aussi, en même temps, que c’est une démarche à encourager et à soutenir, parce qu’à cause de la méfiance qui s’est installée entre des Camerounais, à cause de la confiance qui s’effrite au jour le jour, toute tentative à l’interne entre Camerounais est difficile. Et ce serait bien qu’un pays comme la Suisse se présente comme pouvant jouer le rôle de médiateur.
Des discussions conduites par le Centre pour le dialogue humanitaire, est-ce un peu le Sant’Egidio des Suisses ?
Oui, c’est un centre qui a une certaine expérience en la matière dans d’autres circonstances.
Depuis 2016, la situation ne cessait de s’aggraver. Qu’est-ce qui convint aujourd’hui le régime de Yaoundé d’entreprendre d’éventuelles négociations ? Est-ce que c’est la situation sur le terrain ou est-ce que c’est la pression internationale ?
Je crois que si, effectivement, il se confirme que le pouvoir de Yaoundé a opté pour ce dialogue et cette médiation par la Suisse, je pense qu’il faut comprendre en cela une combinaison de ces deux facteurs. Parce que la situation sur le terrain ne cesse de se détériorer. Il y a encore des tueries et des morts chaque jour qui passe et cela est intenable. Et en même temps, l’opinion internationale devient de plus en plus vocale sur la situation au Cameroun, parce que ça déborde, et ça s’approche des massacres et d’un génocide, ce qui serait vraiment inacceptable.
Il y a deux mois, le 13 mai, les États-Unis ont provoqué une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur la crise humanitaire au Cameroun. Est-ce le déclic qui a peut-être poussé Yaoundé à faire une ouverture ?
Oui, je pense que même avant cette démarche, il y a eu quelques missions humanitaires de la part du responsable des Nations unies. Tout le monde, selon les rapports qui ont été établis, constate que la situation humanitaire se dégrade au jour le jour. Donc, il était important quand même que les gens puissent en parler au niveau du Conseil de sécurité. Je crois que cette réunion du 13 mai a vraiment mis sur la place publique la problématique de la crise anglophone au Cameroun et cela a dû interpeler les uns et les autres à ce que le monde ne peut plus rester à l’écart, alors qu’après le Rwanda, tout le monde a dit jamais plus ce genre de génocide au XXIe siècle.
Alors Tibor Nagy, le « Monsieur Afrique » de Donald Trump, tient des propos assez musclés. Il parle de guerre civile qui se déroule dans les faits au Cameroun, il regrette que le gouvernement camerounais ne réponde pas d’une manière qui apaise les peurs des Camerounais. Est-ce une vue personnelle de ce diplomate américain ou a-t-il le soutien de la Maison Blanche et notamment de Donald Trump ?
Je crois que le diplomate Tibor Nagy n’exprime pas seulement un point de vue personnel, c’est un point de vue généralisé à Washington. Cela s’explique d’ailleurs par le fait que les membres du Congrès américain qui ne sont pas forcément des Républicains se prononcent aussi sur la crise anglophone au Cameroun. Il y a de cela quelques jours, un sénateur est intervenu devant le Sénat américain pour interpeler le gouvernement camerounais et les Camerounais à se faire la paix. À cela quelques jours, Karen Bass, qui est la présidente de la sous-commission Afrique de la chambre des représentants, a sorti aussi une déclaration très musclée par rapport à la crise au Cameroun. Je vous dis qu’à l’heure où nous nous parlons, il y a une délégation du Congrès américain qui est sur place à Yaoundé pour essayer de s’informer davantage sur cette crise. Donc, je crois que les gens s’inquiètent de la détérioration de la situation au Cameroun et se demandent si cette crise ne sera pas une crise existentielle pour le pays tel que nous le connaissons à l’heure actuelle.
Côté européen, la Parlement de Strasbourg déplore « la violence et la discrimination » à l’encontre de la communauté anglophone du Cameroun. En revanche, côté français, on remarque une extrême discrétion. Comment jugez-vous l’attitude d’Emmanuel Macron ?
Je crois que quelque part, ce silence est un peu déconcertant. Les gens n’arrivent pas à comprendre pourquoi il ne se prononce pas de façon publique, même si on sait que, par-derrière, la France essaye de faire connaître ses inquiétudes par rapport à la venue du Cameroun. Et en même temps, je me dis que si l’Union européenne, à laquelle appartient la France, sort des déclarations à l’unanimité, cela voudrait dire que quelque part aussi la France a donné son accord pour que cette position de l’Union européenne soit communiquée sur la place publique.
Par la voix du Premier ministre, les autorités camerounaises font savoir qu’elles sont prêtes à discuter de tout hormis la séparation et la sécession. Sur quelles bases pourraient démarrer de telles discussions ?
C’est important que les axes soient posés sur le terrain pour rassurer les anglophones. Il y a une volonté réelle à dialoguer. Donc, il faut libérer les détenus politiques, il faut libérer les espaces politiques pour que les anglophones puissent même se réunir pour harmoniser leur point de vue en vue de ce dialogue éventuel.
Vous parlez de la libération des détenus politiques, mais n’est-il pas dangereux pour les autorités camerounaises de libérer le dirigeant indépendantiste Sisiku Ayuk Tabe ?
Vous savez qu’en plus d’Ayuk Tabe et de ceux qui ont été arrêtés au Nigeria, il y a des milliers de jeunes anglophones qui sont détenus dans différentes villes du pays, ils sont éparpillés un peu partout. Et ça cause des frustrations, donc il faut les libérer. Il faut créer un climat de confiance pour que les gens soient rassurés, que, effectivement, il y a une voie négociée.
Donc, pour vous, il faut donc libérer les militants indépendantistes, mais faut-il libérer le dirigeant Sisiku Ayuk Tabe lui-même ?
Je crois que si au moins ceux qui ont été pris comme ça par hasard sont libérés, eux-mêmes et leur famille seront rassurés. Et le cas d’Ayuk Tabe pourra être examiné dans la mise en œuvre de ce processus de négociation. Parce qu’à l’heure actuelle, le détenir avec les dizaines de membres de son cabinet qui avaient été arrêtés au Nigeria, détenir les milliers de jeunes anglophones un peu partout à travers la République du Cameroun, cela ne rassure personne.
Que pensez-vous du dernier communiqué de Human Rights Watch qui accuse les séparatistes de torturer des civils ?
On a vu, il y a de ça quelques jours, que l’archevêque de Bamenda avait été pris en otage pendant 24 heures, que le président du parti d’opposition, le SDF, John Fru Ndi a été pris pendant 24 heures. Donc, il y a une criminalité qui se mixe là-dedans et ça, c’est vraiment à déplorer. Donc je pense que les organisations comme Human Rights Watch devraient être encouragées à travailler davantage et le gouvernement camerounais devrait même favoriser la présence de structure de ce genre. Parce que c’est à travers leurs enquêtes que l’on arrive à savoir qui sont les responsables des actes criminels qui sont posés sur le terrain, qui sont les responsables des tueries qui continuent d’ailleurs à avoir lieu dans la zone anglophone du Cameroun.
Source;RFI- Christophe Boisbouvier