Quotidien Le Jour: Le Grand dialogue national convoqué par le chef de l’Etat s’ouvre le 30 septembre prochain, avez-vous été invité formellement ? Si oui, le Docteur Christopher Fomunyoh fera-t-il le déplacement de Yaoundé pour l’occasion ?
Dr. Christopher Fomunyoh: Comme je n’ai cessé de le dire depuis le début de cette crise, seul le dialogue nous permettra de nous en sortir. Convoqué trois ans plus tôt, peut être que cette démarche nous aurait épargné les pertes en vie humaine et la fracture profonde de la fondation même de l’État nation. Aujourd’hui, la cassure est énorme, avec près de 3000 morts, 40 000 réfugiés au Nigeria, plus de 600 000 déplacés internes et un 1 400 000 qui risquent la famine, selon un récent rapport des Nations Unies, et des dommages matériels et collatéraux. Cela étant, je me réjouis du fait que, finalement, un dialogue soit convoqué par le chef de l’Etat. Tous les concernés devront donc oeuvrer dans le sens de faire arrêter les tueries pour mettre fin à la crise en posant des actes de reconstruction et de réconciliation nationale.
J’ai reçu une invitation officielle et j’ai échangé avec le Premier Ministre Joseph Dion Ngute pour accuser réception et l’encourager dans ses efforts. J’ai aussi sollicité qu’il me soient transmis l’agenda et les termes de références pour permettre une meilleure préparation, étant donné les délais assez courts et la durée limitée des assises.
Quelle a été votre réaction et quelles sont vos principales propositions en rapport à la tenue de ce Grand dialogue national ?
A vrai dire, je suis tiraillé car, ayant toujours prêché le dialogue, je ne peux m’empêcher de considérer cette plateforme comme une ouverture qui permettrait des avancées dans la recherche de la paix. Mais en même temps, je constate des manquements dans l’approche, la méthodologie et les préparatifs qui, de façon cumulative, risqueraient de vider le ‘Dialogue National’ de sa substance. Il y a des principes élémentaires à même de favoriser l’inclusivité des participants et un cadre propice qui garantisse la sérénité dans les discussions et la sécurité individuelle et collective des participants. Par exemple, n’aurait-il pas été plus sage d’arrêter les thématiques des discussions après les consultations actuellement en cours, et non pas avant? Aussi, n’aurait-il pas été mieux d’avoir des assises co-présidées par une équipe représentative des protagonistes de la crise ou par une personnalité neutre et moins partisane. N’oublions pas que dans le milieux anglophone il y a encore des leaders d’opinion qui s’étaient présentés pour des négociations avec l’etat en 2016, et qui l’échec des négociations s’étaient retrouvés arrêté et jeté à la prison de Kondengui.
Vous êtes un habitué de ce genre de rencontres à travers le continent africain, dans le cadre de diverses missions de bons offices, y-a-t-il un format idéal de dialogue qui garantit de bons résultats ?
Oui, il y a des pratiques de l’art qui ont porté ailleurs et qu’on aurait pu emprunter. On pouvait s’inspirer des exemples des autres pays africains et ne pas chercher à inventer la roue. Il est de notoriété publique que lorsque dans une crise une frange importante des acteurs se trouve en dehors du territoire national, tenir ce dialogue dans un lieu neutre facilite la participation de tout en chacun. Par exemple, au plus fort de la crise ivoirienne, les négociations de sortie de crise ont eu lieu à Ouagadougou, au Burkina Faso. La crise au Liberia a été résolue à Accra, au Ghana, tout comme celle de la RDC a Sun City en Afrique du Sud. Tout récemment pour la crise malienne, le dialogue a commencé en Algérie, le temps de se mettre d’accord sur les mesures de rétablissement de la confiance entre protagonistes avant de ramener la finalisation des discussions sur Bamako. C’est aussi difficile de tenir un dialogue pendant que certains leaders anglophones sont en prison, et d’autres craignent de venir à Yaoundé pour leur sécurité. Dans des situations pareil, il faut éviter de donner l’impression qu’on tient l’arbre de la paix dans la main gauche, alors que par derrière on tient un couteau dans la main droite. C’est difficile d’installer la confiance mutuelle dans pareille circonstances.
Des partis politiques et des membres de la société civile posent un certain nombre de préalables à la tenue d’un dialogue national au Cameroun. On parle entre autres de préparatifs insuffisants, de mesures fortes d’apaisement attendues de la part du pouvoir… Comment vous situez-vous par rapport à ces questions précisément ?
Ces préalables sont tout à fait légitimes, et j’adhère à la position de la société civile et des partis politiques concernés. On a compté encore beaucoup de morts dans le Nord Ouest et le Sud Ouest depuis le discours du 10 septembre par le président Biya. J’ose croire que pour donner de la valeur aux consultations préliminaires qui sont en cours, certaines de ces recommandations venant des acteurs politiques et non-gouvernementaux devraient être prises en compte.
Le Premier ministre chef du gouvernement a été désigné comme facilitateur, vous semble-t-il avoir le bon profil pour la mission ?
Le Dr Joseph Dion Ngute a un profil personnel bien solide. Seulement, en tant que premier ministre d’un gouvernement dont la gestion de la crise continue de faire l’objet de beaucoup de critiques et cela depuis les trois dernières années, on comprendrait que sa désignation comme facilitateur ne soit pas acceptée par tout le monde. Ca prête à confusion. On n’a qu’à voir la réaction de certains idéologues et militants du partis au pouvoir qui se sont comportés épuisés l’annonce du Président Biya comme si le ‘Dialogue National’ était une cérémonie de leur parti politique. C’est de justesse que nous avons évité les motions de soutien habituelles des militants du parti des flammes alors que la priorité urgente serait de privilégier les personnes qui peuvent penser la résolution de cette crise meurtrière, quelque soit leur bord politique. Or, l’heure est grave et la responsabilité énorme, ce qui demande un détachement de la personne appelé à présider les assises par rapport à la politique gouvernementale du jour.
Un débat a lieu en ce moment au Cameroun entre le SDF et le MRC, deux partis de l’opposition, le premier reproche au second d’entretenir une crise politique préjudiciable, selon le SDF, à la résolution de la crise anglophone. Comment comprenez-vous cette polémique ?
Je vis très mal cette polémique complètement inutile entre certaines franges du SDF et du MRC, qui reflète aussi les faiblesses de l’opposition politique dans notre pays. Ca fait pitie d’observer qu’au lieu de fédérer les efforts et d’oeuvrer ensemble pour un changement véritable dans notre pays, certains responsables politiques passent leur temps à se déchirer pour les raisons de politique politiciens. Il vous souvient que dans une publication en novembre 2018, j’avais émis 10 recommandations de sortie de crise qui permettaient d’une part de résoudre la crise dite anglophone, et d’autre part de résoudre la crise politique émanant du contentieux autour de la dernière élection présidentielle. Tout vrai leader politique devrait pouvoir mobiliser l’opinion nationale et internationale de manière à résoudre plusieurs crises à la fois, sans soulever d’antagonismes inutiles et futile.
Je suis d’autant plus peiné que j’ai des amis dans ces deux grandes formations politiques qui sont le SDF et le MRC. Ce débat est très mal placé aussi étant donné qu’en ce moment, toute la hiérarchie du MRC et des partis alliés se trouve à la prison de Kondengui. Ne serait-ce que par solidarité à l’injustice et aux harcèlements auxquels ils sont confrontés, certains devraient éviter des commentaires insensibles et fortement blessant. Vous le savez peut être, mais le Professeur Maurice Kamto, c’est un ancien camarade de faculté et un ami de longue date pour qui j’ai du respect. Je suis donc très peiné et très attristé, en tant que démocrate, défenseur des droits de l’homme, ainsi que frère, ami et admirateur de ses prouesses académiques et politiques de le voir en détention à la prison de Kondengui. C’est inimaginable! Ces dernières années nous avons beaucoup échangé par rapport à la situation politique et à l’avenir du pays, tout comme je l’ai fait avec beaucoup des hauts cadres et dirigeants du SDF, et d!autres personnalités de grande envergure à travers le pays. À mon sens, et malgré leurs divergences de point de vue, les responsables du SDF et du MRC devraient oeuvrer davantage à trouver des points de convergence au lieu de se donner des coups inutilement par les médias interposés. Ces moments de crise aiguë demandent un surpassement de soi et de la hauteur de la part des leaders politiques et leaders d’opinion que nous sommes.
Quel écho avez-vous de l’acceuil de ce grand dialogue national par la diaspora camerounaise que vous connaissez bien ?
Les réactions au sien de la diaspora, pour la plupart, vont de l’amertume à l’indifférence absolue. Pour la plupart, les relations entre la diaspora et le gouvernement actuel sont tellement tendues, qu’il faudra plus que l’annonce du dialogue pour susciter des réactions plus favorables. Ca fait plus de deux décennies que j’essa de porter sur la place publique à travers les nterviews et de conférences le fait que l’etat devrait améliorer ses interactions avec la diaspora, sans que cela ne soit pris au sérieux par les autorités. Les multiples maladresses des autorités et les crises de ces trois dernières années sont venues aggraver une situation qui était déjà lamentable. Sur ce plan aussi il y a beaucoup de travail a faire pour l’avenir.
L’une des questions qui fait débat au Cameroun c’est le sort des résolutions d’une telle réunion. A votre avis, comment opérationnaliser au mieux les recommandations du Grand dialogue national ?
Ceux qui ont des craintes à ce sujet ont raison, parce que tout le monde se souvient des recommandations de “la Tripartite” en 1991 qui n’ont pas été appliqués. Tout le monde se souvient également de la constitution de 1996 qui jusqu’à ce jour n’a pas été appliquée dans toutes ses dispositions. Comment alors empêcher aux citoyens d’avoir des appréhensions, non seulement par rapport au contenu du ‘Dialogue National’, mais aussi par rapport à la mise en oeuvre de ses recommandations? Il y a un déficit de confiance quant à la capacité de ce gouvernement d’entendre les cris de ses citoyens et de les intégrer dans des actions concrètes qui devraient ramener la paix, élargir les champs de liberté, et améliorer les conditions de vie des populations. .
Les amis et partenaires du Cameroun, les États-Unis, l’Union européenne, l’Union africaine… disent suivre l’initiative de dialogue annoncée. Quel rôle peuvent-ils jouer ?
Les partenaires aussi souhaitent que nous retrouvons la paix et les tueries et autres atrocités cessent. Ils doivent continuer à faire pression sur les protagonistes en conflit pour qu’ils abandonnent la violence et les armes, et qu’ils se parlent de maniere sincere afin d’aboutir à une résolution de la crise. Ces partenaires peuvent aussi créer les conditions à l’interne comme à l’externe pour que les plateformes de concertations se multiplient afin de ramener tout un chacun autour de la table de négociation. A la longue, la responsabilité nous incombe en tant que camerounais d’arrêter de nous entretuer, d’arrêter les discours haineux et conflictuels, et de mieux gérer nos diversités historiques et culturelles. Nous avons de quoi réussir nous mêmes, pourvue que la volonté politique soit présente au plus haut niveau de l’Etat d’où devrait venir l’exemple de l’humilité et de l’introspection.
On va finir notre entretien par une question personnelle, si vous permettez Docteur, quelle est votre position aujourd’hui sur la forme de l’État du Cameroun ? Êtes-vous partisan de la sécession ? Du fédéralisme ? Ou d’une décentralisation ?
Aujourd’hui je suis embêté de voir que pour certains, on doit empêcher toute discussion sur la forme de l’etat. D’une part on condamne la forme hérité au moment des indépendances, et en même temps on refuse de s’asseoir pour définir nous mêmes la forme de l’etat qui devrait nous permettre de forger un avenir ensemble. Quelle contradiction! Biensur que, si nous sommes maturs, nous devrons avoir le courage de nous asseoir pour discuter de la forme de l’etat. Il ne devrait pas y avoir de sujet tabou. Dans les villages les plus reculé des régions du Nord Ouest et du Sud Ouest, même les enfants en parlent. Alors, si les leaders politiques et les leaders de l’opinion que nous sommes, nous refusons de nous asseoir pour discuter de la forme de l’etat, ce débat va se retrouver dans la rue et dans la brousse, ou les enfants prendront les armes pour se faire entendre. C’est comme si nous n’avions rien retenu de l’expérience de ces trois dernières années de crise. Vous voyez bien que je ne mettrais pas toutes ces énergies et toute cette réflexion à penser un avenir meilleur pour le Cameroun, si je n’y croyais pas. En même temps, c’est une évidence incontestable que le Cameroun ne pourra pas se remettre sans tenir compte de la spécificité culturelle et sociopolitique de sa population anglophone.
Merci.
Source: Le Quotidien Le jour du 27 septembre 2019