Il a beaucoup été question de la note de conjoncture du Quai d’Orsay dans l’opinion francophone au cours des dernières semaines.
Je voudrais partager avec vous une breve “note de terrain” en provenance de la region australe de notre Continent. Elle montre que certains de nos Etats ne vont pas a ce combat pour la survie les mains nues. C’est le cas de l’Afrique du Sud.
Evidemment nul ne peut, au point ou nous en sommes, prédire avec exactitude comment il se déroulera, ni comment il prendra fin. Mais l’ampleur de la mobilisation est frappante, et la qualité du leadership politique et social absolument remarquable.
Aujourd’hui, nous en sommes a 2415 cas de contamination, soit 143 de plus qu’hier. Il faut y inclure 49 prisonniers. Depuis le debut de cette calamite, 27 personnes ont perdu la vie. Le nombre de tests conduits a ce jour s’élève a 87 002.
En preparation de la bourrasque qui risque de s’abattre sur le pays, nous avons urgemment besoin de masques, de respirateurs et de gants. Avec le stock de gants actuel, nous pouvons tenir pendant un mois. Les dons en équipements offerts par la Chine sont arrives hier dans la nuit a l’aéroport OR Tambo de Johannesburg.
Les milieux d’affaires estiment que cette calamite nous coutera plus d’un million d’emplois dans le secteur formel, et l’économie va se contracter a hauteur de 10%. Le gouvernement est en train de rechercher des credits partout ou cela est possible, y compris auprès de la Banque des BRICS et de la Banque mondiale. De cette dernière en particulier, il a besoin d’une somme de 60 millions de dollars a injecter dans la lutte contre l’épidémie.
Ce qui est frappant, c’est la façon dont le gouvernement a pris a bras le corps cette tragédie. Très vite, le President RAMAPHOSA, qui s’est adresse a trois reprises a la nation, a mis en place une sorte de conseil de guerre appelée le Covid-19 National Command Council.
Il s’agit d’une structure qui inclue les principaux responsables de tous les secteurs susceptibles de contribuer a l’endiguement et l’eradication de l’épidémie. Pour le seul Ministere de la Sante, quatre groupes de travail sont opérationnels. L’on y compte au moins 20 professeurs, tous des spécialistes en immunologie et en virologie.
Il est rassurant de voir a quel point le gouvernement a choisi, d’emblée, de recourir a l’expertise scientifique locale. Grace a la qualité des universités sud-africaines et des centres de recherche, cette expertise, de renommée internationale, existe. Sa voix dans la lutte en cours est très importante.
Le gouvernement s’est efforce de mobiliser toutes les forces sociales et autres corps intermédiaires et a fini par forger un énorme consensus et un sens de l’unite. Partis d’opposition, syndicats, milieux d’affaires, banques, entreprises minières, société civile, organisations non gouvernementales, églises, universités, écoles et diverses autres institutions se sont rallies a la stratégie définie par le gouvernement qui aura pris grand soin de consulter tout le monde.
Résultat, pour le moment, nous faisons l’expérience de l’un des confinements les plus draconiens au monde. De l’une des societes les plus ouvertes, nous sommes passes a une société pratiquement close sur elle-même. Ce n’est que grace aux technologies numériques que nous restons lies au reste du monde. Les frontières ont été fermées. La police et l’armée patrouillent les rues. L’espace aérien est clos et l’économie est pratiquement (suspendue).
Les taux de contamination restent relativement bas. La stratégie est de les réduire drastiquement d’ici le mois de septembre.
Le gouvernement a elabore un plan en 9 stages. Nous en sommes a la quatrième étape. En termes de comparaison, nous faisons aussi bien (sinon mieux) que la Coree du Sud et Singapore a cette étape de la progression de l’épidémie. Les infections “importées” et les infections internes sont a ce stade moins importantes qu’initialement prevues. Cela devrait permettre de gagner du temps pour se preparer a la veritable bataille qui s’annonce une fois que les pics seront atteints.
En rang pour cette bataille, on a mis en place une armée de 28,000 travailleurs de la santé. Ceux-ci interviennent directement auprès des communautés locales. On est également en train de mettre sur pied un regime de diagnostics, de tests et de traitements plus rapides. Tous les hôpitaux, toutes les cliniques et centres de santé du pays sont en état d’alerte. Les operations de routine ont été suspendues.
Le 14 avril, la communauté des hommes d’affaires, qui coordonne le stock d’équipements de base, a acheté 900,000 gants stérilises, 20,000 protecteurs de visage (face shields), 1,120 000 masques N95, 14 500 masques chirurgicaux et 200 ventilateurs avec des fonds collectes auprès des Sud-Africains ordinaires.
A ce Fonds de solidarité gere par des personnalites integres, chacun contribue selon ses moyens. Près de 2 milliards de rands ont d’ores et deja été recueillis. Des organisations indépendantes ont mis sur pied des banques de nourriture (Food Banks) pour assister les plus nécessiteux. Beaucoup de ‘sans-domicile’ ont été loges dans des structures libérées a l’occasion.
Les plus riches s’efforcent de donner plus. Des fondations privées, a l’exemple de la Fondation Patrice Motsepe, de la Rand Merchant Bank, du Fonds Solidarite (un syndicat Afrikaner) et de Naspers y ont également depose d’importantes sommes d’argent. L’objectif est, dans les deux mois qui viennent, de renflouer les stocks. Les multinationales de la téléphonie ont gratuitement mis a la disposition des établissements scolaires et universitaires des volumes substantiels de trafic pour assurer l’enseignement a distance.
Le taux d’infection a ce jour est de 67 personnes par semaine. Dans le cas ou il baisse, l’on pourra penser a desserrer le confinement. Dans le cas ou il atteint 90 personnes par semaine ou plus, les restrictions resteront en place. Le gros se jouera d’ici au mois de septembre.
La priorité dans les jours qui viennent est de localiser les grands foyers d’infection (hot spots) et de deployer l’infrastructure pour les dépistages de masse, la mise en quarantaine des contamines et le traitement des cas graves dans les hôpitaux et cliniques. il s’agira aussi de se preparer, en cas de morts de masse, a faciliter les enterrements et de mettre en place un plan de vigilance qui durera jusqu’a la découverte d’un vaccin.
Bref, le scenario n’est pas du tout a la catastrophe. Nous sommes conscients du peril qui frappe a la porte. Nous ne sommes pas totalement démunis. Et si nous devons périr en masse, ce ne sera pas sans avoir combattu.
Par Achille Mbembe