JE ME SOUVIENS DE LA REPRESSION BARBARE DU REGIME DICTATORIAL CONTRE LES «PARLEMENTAIRES» SUR LE CAMPUS DE LâUNIVERSITE DE YAOUNDEâ¦
Ce jour-là , la soldatesque du régime juvenophobe du tyran sanguinaire Paul Biya, tirait sur nous, étudiants contestataires du Parlement, en meeting sur la place de âBassorahâ, nom de baptême du lieu de rassemblement. Les chaussures abandonnées et les flaques de sang présentes sur le théâtre des opérations (voir photo de gauche), témoignent de la violence de cette expédition punitive de lâarmée contre le Mouvement Etudiant, le Parlement.
Il y eût plusieurs morts nâen déplaise au régime, 200 blessés et plus de 300 arrestationsâ¦Câétait la débandade générale. Miraculeusement, aucun des leaders du Parlement participant à ce meeting ne fût arrêté ce jour-là , ce qui renforça encore un peu plus, le mythe, très répandu parmi les étudiants, de leaders du Parlement qui auraient «le pouvoir de disparaitre». Sans blagues !
Quelques-uns des étudiants ayant échappé aux tueries, étaient pourchassés avec des gourdins et des machettes, par des milices tribalo-fascistes à la solde du régime en embuscades dans les quartiers riverains dâObili et de Ngoa-Ekelle. Beaucoup dâétudiants préféraient alors se livrer aux gendarmes, les bras en lâair, plutôt que de se faire découper par des miliciens du régime ! Câétait horrible !
La commission dâenquête mise sur pied par le régime, après cette tragédie, conclura quelques semaines plus tard «quâil y a eu zéro mort à lâuniversité»â¦
Les massacres de cet après-midi du 06 mai 1991 à âBassorahâ étaient le clou dâune journée de fortes tensions, de pressions et de négociations avec le feu Chancelier de lâUniversité Joel Moulen, de confrontations avec les étudiants-miliciens du régime (Autodéfense) et de face-à -face entre nous, les contestataires, et les gendarmes du Colonel Baleguel, alors Commandant de la Légion de Gendarmerie du Centre, lâespace privilégié de détention et de torture des étudiants arrêtés.
Le 04 Mai 1991 déjà , sâétait tenu au stade Mateco, sur le campus, le seul et unique meeting autorisé par les autorités universitaires de lâépoque. Ce meeting restera est probablement comme plus grand rassemblement de la lutte estudiantine au Cameroun: 10.000, 15.000, 20.000 étudiants? Personne ne peut le dire avec assurance. Rien quâen y pensant encore, jâai la chair de poule, tellement câétait grandiose. Sur le chemin du retour du meeting, de nombreux contestataires sont arrêtés par les miliciens du régime et enfermés dans la résidence de Manda Fils, un des barons du régime dans le quartier dâObili.
Le 07 Mai, jâentrepris avec Tagne Jean Bosco de faire le tour des hôpitaux, commissariats, gendarmeries, morgues pour établir un bilan de la répression. Le nombre de personnes arrêtées ne pouvait tenir à un seul endroit. Elles furent reparties dans différents lieux de détentions dans la ville de Yaoundé. Le gros des étudiants arrêtés était gardé, a la Légion de Gendarmerie du Centre, dâautres à lâécole de Police à Tsinga et dans divers commissariats de la ville. Tagne Jean Bosco et moi, avions pris dâassaut la morgue de lâhôpital central. Le morguier et les policiers qui y campaient, nous y refusèrent lâaccès, en nous envoyant rencontrer le Directeur de lâHôpital central, le Professeur OBOUNOU. Nous nous déportions alors chez le Prof., qui dans un premier temps, nous envoya balader. « Je nâai pas reçu dâinstructions à ce sujet » sâécriaât-il, visiblement apeuré par notre détermination et nos mines patibulaires. Devant les bureaux du Professeur OBOUNOU, attendait un jeune enseignant de lâUniversité habillé en « demi-saison» Un certain Maurice Kamto. Nous nous approchâmes de lui en criant «Professeur aidez-nous sâil vous plait, ils ont tué nos camarades ; ils ne veulent pas nous ouvrir la morgue, aidez-nous !».
Réponse de Maurice Kamto, qui tenait un sac pharmaceutique en main, contenant certainement des médicaments: « oui, je suis au courant de ce qui sâest passé hier, je suis malade, je suis moi-même venu voir le Professeur OBOUNOUâ¦Â». Il avait triste mine. Nous nous sommes donc résolus, mon acolyte et moi, à faire du bruit à lâhôpital central.
Les malades et leurs visiteurs accouraient pour nous regarder, avec un mélange de peur, dâadmiration et de commisération. Il faut dire que nous sommes là en Mai 1991 ; les lois dâexception viennent à peine dâêtre abolies, mais la terreur et la peur continuent de dominer le pays. Nos vociférations sont donc un peu perçues comme très osées. Devant le refus de OBONOU, nous avions menacé de faire venir des étudiants pour casser la morgue. Il faut dire que nous étions un peu fous, un peu suicidaires même, enivrés que nous étions, par notre soif du changement dans ce pays.
Le Professeur OBOUNOU finît par céder et nous conduisît lui-même à la morgue de lâhôpital central. Il y avait du sang partout, et quelques corps déchiquetés déposés a même le sol. Devant notre étonnement, Mr. OBOUNOU prétend quâil sâagit de « corps de bandits amenés dans la nuit par la police ». Curieux quand même !
Ce même 07 Mai dans lâaprès-midi jâaccompagnais avec Djemo Michel et Njock (dont jâai aujourdâhui perdu la trace), une délégation de Cap-Liberté, conduite par don président Djeukam Tchameni, venu de Douala, et par son Vice-Président, le Prof. Sindjoun Pokam sur les lieux du massacresâ¦Nous leurs remettions la liste des personnes arrêtées que nous avions pu constituer dans la journée.
Le soir du 07 Mai, nous nous retrouvions au Domicile du Pr Sindjoun Pokam avec Djeukam Tchameni pour faire le point de la situationâ¦câest ici que Djeukam invite une Délégation du Parlement à la réunion de la Coordination de lâopposition prévue à Bamenda. Objectif: faire la jonction entre la contestation estudiantine et les autres pôles de protestations dans le pays.
Après la répression du 06 Mai tout sâarrêta sur le Campus.
Les étudiants épris de changement retournèrent dans leurs familles, «en province». La contestation estudiantine se transporta alors dans toutes les villes du «grand Ouest», emballant les populations autour de la revendication de la conférence nationale souveraine.
Ce mois de Mai 1991, dans les villes comme Douala, Bafoussam, Bamenda, Buea, Limbe, Kumba, Loum, Nkongsamba, les Parlementaires partis du Campus, prirent la tête de la mobilisation et devinrent alors le fer de lance de la lutte pour le changement dans le paysâ¦
Personnellement, je me retrouvais à Bafoussam, après avoir pris part à la délégation du Parlement à la réunion de la Coordination Nationale des Partis Politiques et des Associations le 12 mai 1991 à Bamenda, je crois, je pris mes quartiers à Bafoussam. Câest avec feu le Professeur OBENSON, qui dirigeait un petit parti politique basé à Buea, que je partis de Bamenda pour Bafoussam. Tous les parlementaires qui sây étaient repliés, avaient alors constitué «un Parlement provincial de lâOuest» qui organisait des meetings et des marches gigantesques, quasi-quotidiennement dans la ville, avec une très forte participation des populations localesâ¦lâestrade de la Cathédrale de Bafoussam devint le siège de la contestation. Voilà comment la répression du 06 mai et lâexode des Parlementaires vers les Provinces, aidèrent à créer la jonction entre la contestation estudiantine et le mouvement populaire pour le changement dans le paysâ¦
Je repense à cette période avec beaucoup de nostalgieâ¦Je me demande sans cesse pourquoi la jeunesse dâaujourdâhui, nâa pas le courage que nous avions à lâépoque, sans vraiment trouver de réponses convaincantes. Nous avions pour la plupart dâentre nous 20-22 ans, âge auquel on explore les plaisirs de la vie : les nanas, les discothèques… Les plus âgés dâentre nous devaient avoir 25-26 ans. Lâuniversité est le creuset dâune nation, la jeunesse en est le fer de lance.
Il faut que la jeunesse universitaire reprenne toute sa place et son rôle au cÅur de la lutte pour le changement dans ce pays et cela mettra toute la société en branle. Quant à nous, les «quatre-vingt-onzards», nous refusons catégoriquement toute posture « aplatventriste » toute capitulation devant ce régime criminel qui voulut nous exterminer voici 29 ans !
Tene Sop, Mémoires d’un exilé!
Ce 06 Mai 2020
Source: Tene Sop