Le 25 mai dernier, en pleine crise sanitaire relative à la maladie au coronavirus, le continent africain célébrait le 57e anniversaire de la création de son organisation continentale: l’Organisation de l’unité africaine (OUA) devenue, depuis le Sommet des chefs d’État et de gouvernement de Syrtes, Union africaine (UA). Certes, cette célébration marque celle d’une liberté politique difficilement acquise, mais davantage, celle de l’institutionnalisation du mouvement panafricaniste. En effet, d’un point de vue définitionnel, le panafricanisme pourrait s’appréhender sous un triple prisme. Ainsi, on aura la dynamique idéologique. On parle alors de panafricanisme militant; la dynamique relative au management des politiques publiques de gouvernance, et qui a fait l’objet d’une étude menée par le Pr Pascal Charlemagne Messanga Nyamding dans le no 1 du volume 13 de la Revue camerounaise d’études internationales. Ce panafricanisme, il l’a nommé, panafricanisme politique; le troisième pan du panafricanisme est celui institutionnel, et c’est sur ce dernier que porte cette étude. La notion de panafrica- nisme revêt autant de définitions que d’ouvrages consacrés à l’étude de cette notion.
C’est ainsi que pour W.E.B. Du Bois, le panafricanisme est le résultat d’une compréhension mutuelle et d’une coopération entre toutes les populations de descendance africaine dans leur effort de lutte pour leur émancipation. Il s’agit, pour parler comme Edem Kodjo, d’un mouvement pour la promotion du Noir, longtemps vendu comme esclave, avili, méprisé n’ayant aucun droit reconnu. De cette approche définitionnelle, il en ressort que le panafricanisme institutionnel est l’ensemble des institutions, des organisations ayant pour vocation de conduire l’idéal panafricain pour la réalisation des États-Unis d’Afrique, terme cher à Kwamé Nkrumah.
Ce travail se veut surtout être l’examen de 57 années d’une construction institutionnelle permanente. Une construction dont les résultats partagent l’opinion publique entre ceux qui voient au panafricanisme institutionnel une évolution embryonnaire quand elle n’est pas un échec, et ceux qui voient le reflet d’un succès perpétuellement construit.
Dès lors, le panafricanisme institutionnel a-t-il été un échec dans la construction communautaire en Afrique ou un franc succès? Notre hypothèse est que les institutions accusent un programme et des intentions géopolitiques qui font d’elles des pourvoyeuses et des entre preneurs de logiques de domination, pour parler comme Mbida Onambélé Max Sinclaire dans son article intitulé «Géopolitique de l’Union africaine». Autrement dit, ces institutions chargées de porter l’idéal panafricain ont toujours travaillé dans la limite des objectifs à eux fixés par les chefs d’État et de gouvernement des pays africains. Par conséquent, la supposée réussite ou l’échec de ces institutions n’est l’œuvre que de la volonté politique de ces États; rien à voir avec l’institution elle-même. La vérification de cette hypothèse passe par une analyse basée sur un plan en deux parties. Ce plan qui consiste à présenter d’abord la sociogenèse du panafricanisme institutionnel. Par la suite, il montre le chemin de croix de ces institutions dans un environnement géopolitique instable caractérisé par la quête permanente de l’intérêt national en vue, pour chaque Etat, d’accroitre sa puissance.
Sociogenèse du panafricanisme institutionnelle: le compromis idéologique
Au moment où les chefs d’État africains se réunissent dans l’enceinte de l’Africa Hall à Addis-Abeba, du 23 au 25 aout 1963, deux groupes idéologicopolitiques se dégagent, compromettant l’essence même de l’unité africaine: le groupe de Casablanca et celui de Monrovia.
L’approche maximaliste du panafricanisme institutionne
L’approche maximaliste du panafricanisme institutionnel avait pour leaders idéologiques le Ghanéen Kwamé Nkrumah, l’Égyptien Gamal Abdel Nasser. Issu des idées du groupe de Casablanca, pour cette approche, l’unité africaine, qui demeure une impérieuse nécessité, pour reprendre le titre slogan du livre de Kwamé Nkrumah Africa must United, devait passer par une unité politique. C’est la raison pour laquelle Kwamé écrit dans son ouvrage L’Afrique doit s’unir que les «liens économiques effectifs ne peuvent être sans une saine direction politique qui leur donne force et raison de vivre».
Et cette unité politique devait passer par la mise en place d’un organe institutionnel. Pour ce groupe, le panafricanisme institutionnel est donc un centre à l’intérieur duquel les panafricanismes idéologique et politique fusionneront à l’intérieur d’un bâtiment. Mais cette approche n’a pas connu beaucoup de succès suite au caractère radical de ce groupe vis-à-vis du pouvoir colonial. Autrement dit, la volonté idéologique de ce groupe se heurtait profondément aux ambitions politicoéconomiques des pères fondateurs occidentaux.
L’approche minimaliste du panafricanisme institutionnel
Encore qualifiés de te- nants d’une construction par étape du panafricanisme institutionnel, les minimalistes sont issus du groupe idéologique dit de Monrovia. Inspiré de l’histoire du Libéria et des orientations politiques des leaders de l’Afrique de l’Ouest pour reprendre Guy Mvelle, l’essentiel de leurs idées repose sur une approche constructive par étape; c’est-à-dire, contrairement aux tenants d’une construction immédiate, ces derniers estiment que le panafricanisme institutionnel devait se faire par «cercles concentriques» pour reprendre l’expression utilisée par l’un de ses tenants les plus farouches, Léopold Sédar Senghor. Autrement dit, il s’agit de mettre d’abord en place, «le regroupement qui ne sacrifierait aucune des alliances ni aucune des amitiés héritées de la colonisation.
Elle ne devait non plus exclure aucune de celle qui pourrait naitre de la situation nouvelle et de l’ouverture de relations diplomatiques directes avec les pays étrangers» pour citer le père de l’Etat ivoirien Félix Houphouët-Boigny. En somme, le panafricanisme institutionnel est l’objet d’un compromis entre les deux grands courants du panafricanisme idéologique.
Ce compromis a d’ailleurs failli avorter au regard des négociations restées cloitrées sur des positions idéologicopolitiques des uns et des autres n’eut été l’appel de l’empereur Helle Salasié d’Éthiopie.
Le panafricanisme institutionnel, entre échec et succès d’une organisation continental
Dans sa déclaration faite le 25 mai dernier intitulée 25 mai: Journée de la libération de l’Afrique, Monsieur Moussa Faki Mahamat s’interrogeait en ces termes: «l’Afrique est-elle devenue ce continent de liberté, de paix, de prospérité et de réussite dont les pères fondateurs avaient rêvé? L’Afrique a-t-elle conquis la place à la mesure de son immense potentiel et de ses ambitions légitimes sur la scène internationale?». Au regard de ces questions, il ressort que le panafricanisme institutionnel avait un couloir bien circonscrit, mis en relief par les différents textes constitutifs malgré les attentes exorbitantes du panafricanisme idéologique.
Sillage du panafricanisme institutionnel: du gout d’échec
«Le bilan d’un demi-siècle d’indépendance et de liberté du continent laisse dubitatif», affirme le président de la Commission de l’Union africaine dans sa déclaration sus-citée. En effet, le 9 juillet 2002, le magazine L’OBS mettait en ligne, à 8 h 50, un article intitulé, «l’OUA est morte, vive l’UA». Pour l’auteur de cet article, l’Organisation de l’unité africaine a entériné la mise en place d’un nouvel édifice institutionnel. Les ratés de l’ancien pèsent déjà sur le nouveau. Cette déclaration n’était pas nouvelle parmi les observateurs et penseurs du panafricanisme institutionnel.
En effet, nombreux étaient ceux qui croyaient à l’échec du panafricanisme institutionnel porté par l’OUA. Aux nombres des échecs attribués à cette institution, se trouve en bonne ligne l’échec du transfert des pouvoirs des États nationaux à la nouvelle institution.
En effet, paraphrasant Alfredo Suarez dans son ouvrage Intégration régionale. Evolution d’un concept, le Professeur Laurent Zang, dans un article intitulé «Du secrétariat exécutif à la commission de la CEMAC: quel “pouvoir” régional?», écrit: «Le processus d’intégration se consolide avec le transfert des pouvoirs des États nationaux aux nouvelles institutions d’intégration, qui acquièrent des compétences supranationales».
Ce transfert des pouvoirs pour donner à l’OUA un caractère supranational est, si l’on peut le dire ainsi, la principale limite et même le principal blocage de cette institution panafricaine. L’OUA est donc surtout restée une institution de coopération, au sens que l’entend Guy Mvelle dans son ouvrage Intégration et coopération en Afrique.
La difficile rencontre possible entre les théories et les faits, c’est-à-dire un simple cadre d’enregistrement et d’harmonisation des politiques des États membres, sans incidences certaines sur ces États. Le successeur de la première institution panafricaine a connu les mêmes tares; ces problèmes sont relevés par Guy Mvelle dans son article intitulé «Une géopolitique de l’Union africaine: Genèse et limite d’un projet prométhéen».
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il écrit: «Les récits que font les témoins de la parturition de l’Union africaine montrent à suffisance que l’organisation panafricaine, qui est une proposition du guide libyen Mouammar Kadhafi sur la base des propositions plus anciennes des leaders africains des indépendances, a été créée de façon précipitée, et est le fruit d’une absence de consensus entre États africains. … au constat d’un succès retentissant. Malgré ce gout d’échec observé au sein des deux institutions panafricaines, il n’en demeure pas moins que l’OUA surtout, puisque l’UA travaille toujours et donc il est difficile de le juger, a réussi dans l’exercice de son idéal panafricain.
En effet, à l’examen de l’article 2 de la Charte de l’OUA portant sur les objectifs de cette institution panafricaine, il ressort de cela que l’OUA a pour objectif de renforcer l’unité et la solidarité des États africains, de coordonner et d’intensifier leur coopération, de défendre leur souveraineté et intégrité territoriale, d’éliminer, sous toutes ses formes, la colonisation de l’Afrique et surtout de favoriser la coopération internationale. Si nous faisons un examen point par point, nous remarquerons qu’au cours du fonctionnement de cette institution, le continent africain n’a pas connu un éclatement majeur; la coopération a été maintenue au sein de cette instance. En outre, malgré les conflits autour des frontières et qui ont de temps à autre porté entrave au processus de pacification perpétuelle du continent (partagé entre plusieurs courants idéologiques, comme le problème du Sahara occidental, ou la question des deux Soudans), l’OUA a su préserver la souveraineté et l’intégrité territoriale du continent africain. Par ailleurs, sur le plan de l’élimination de la colonisation sous toutes ses formes, domaine dans lequel le panafricanisme institutionnel a connu le plus de succès, l’Afrique du Sud, dernier État africain à vivre sous le joug de la colonisation, y est sortie en 1994, faisant de l’Afrique un continent «libre et indépendant».
Quant à elle, l’UA qui fut un projet prométhéen, pour parler comme Guy Mvelle, connait certes quelques problèmes dans l’accomplissement des objectifs parmi lesquels l’intégration totale du continent et le maintien de la paix dans ce continent. Mais ses succès sont assez éloquents actuellement.
La mise en place d’une zone de libre-échange continentale, prélude au marché commun, en est un succès. Les attentes de la Force africaine en attente, parachevant le dispositif d’une pax africana, continuent à faire croire que l’UA est en bonne voie. En somme, le panafricanisme institutionnel, né du compromis du 25 mai 1963, est à la base du processus de liberté politique de l’Afrique.
François Aurelien Nguendia Diplômé de l’IRIC/IRMIC Chercheur indépendant
Source: Intégration 417