L’îcone du journalisme en Afrique Pius Njawé avait prédit sa mort!
12 juillet 2010 – 12 Juillet 2020. Cela fait exactement 10 que l’icone de la lutte pour la liberté d’expression au Cameroun a rejoint l’éternité! Le groupe Intégration qui est une sorte de réincarnation du projet « Le Messager des Jeunes (LMJ) » a organisé une soirée commémorative à Pius Njawé sur zoom (contactez-nous à integration.usa@gmail.com pour le meeting ID).
Percée fulgurante et surtout dominante du « journalisme-gombo ». Mort suspecte de Samuel Abuwe Ajieka (Wazizi). Détention abusive et absurde de Paul Tchouta et bien d’autres cas de menace sur la profession du journalisme nous invite à revisiter l’expérience de Pius Njawe. En 1999, le Comité Mondial pour la Liberté de la presse a publié le « Manuel pour les journalistes Africains » et dans lequel Pius avait décrit « Les risques du métier ». Redécouvrons ces extraits de ce texte prémonitoire que nous vous proposons.
Les risques du métier
« Comme toute activité humaine, le métier de journaliste comporte des risques. Mais contrairement aux autres métiers, les risques inhérents à celui de journaliste sont non seulement multiples, mais souvent complexes. On pourrait même penser, à la lumière de certaines réalités, que ce métier ne comporte que des risques dans la plupart des pays en développement, notamment en Afrique où l’émergence d’une presse indépendante et pluraliste à l’aube des années 90 a définitivement mis en évidence la peur des pouvoirs politiques et financiers pour la libre circulation de l’information.
Cette peur se traduit généralement par un certain nombre de reflexes longtemps entretenus à l’époque du monolithisme absolu, et que l’on a essayé de renforcer lorsque la mousson démocratique a ébranlé les forteresses autocratiques après la chute du Mur de Berlin. Les discours en faveur de la démocratie et des Droits de l’homme qui découlèrent de cet événement majeur durent contraindre les dictateurs à un repositionnement tout au moins tactique.
On a ainsi vu des dictateurs impénitents emboucher des clairons pour s’autoproclamer champions de la démocratie et des Droits de l’Homme, afin de s’attirer les faveurs de la communauté des bailleurs de fonds qui, à l’époque, avaient eu la géniale idée de conditionner l’aide financière aux efforts de démocratisation, dont le respect des droits humains. Malheureusement, la dictature a la peau dure et les dictateurs ont plus d’un tour à leur sac. Aussi, la répression jadis ouverte et à la limite du défi est devenue plus insidieuse, prenant souvent des formes pernicieuses, sous des oripeaux démocratiques.
C’est dans un tel contexte qu’il convient de situer les risques qu’encourent les journalistes dans l’exercice quotidien de leur métier. Ces risques varient souvent selon les régions, et vont du plus banal au plus grave : la contradiction, la déconsidération, le musellement, l’exclusion, la mort sociale, l’humiliation, la privation de liberté, l’exil, la mort physiques, etc.(…)
La mort sociale
La mort sociale est en quelque sorte le prolongement ou la conséquence de l’exclusion et l’isolement décrits ci-dessus. Le journaliste, pour peu qu’il veuille exercer honnêtement son métier dans des contextes difficiles comme en Afrique, pourrait être victime d’une exclusion sociale soigneusement organisée par ceux qui se sentent gênés par son indépendance.
Les méthodes d’isolement ou d’exclusion sont nombreuses; pour faire le vide autour de lui, on commence par intimider toutes ses relations par des pratiques allant des interpellations arbitraires, contrôles fiscaux, tracasseries policières, coupures d’eau ou de courant électrique, etc. Pour certaines relations familiales, c’est une nomination, un contrat juteux ou toute autre promotion sociale pour les dresser contre le parent « dissident » qui refuse de s’aligner. Celles de ces relations qui résistent à de tels chantages alimentaires sont soit limogés, soit subissent des affectations disciplinaires.
Ils sont nombreux, ceux de mes parents, amis, voisins, convillageois, sympathisants, lecteurs ou annonceurs, a avoir payé cher, très cher souvent, le prix de leurs relations avec Le Messager ou son géniteur. Mon oncle a perdu du jour au lendemain son poste de directeur technique dans une société d’Etat des que son patron a découvert ce lien de famille. Mon épouse, en service dans l’administration des douanes, affronte depuis une dizaine d’années de pires ennuis professionnels, liés notamment au vide, à l’isolement total qui est fait autour d’elle ; aucun responsable ne veut l’accepter dans son service, tandis qu’aucun dossier ne lui ai confié; elle est ainsi payée à ne rien faire, et attend depuis belle lurette qu’on lui accorde la mise en disponibilité qu’elle a demandée. A l’école mes enfants sont l’objet de railleries de leurs camarades et souvent de certains maitres, chaque fois que j’ai des démêlés avec le pouvoir. Peu d’amis osent s’afficher publiquement avec moi, de peur d’être mis à l’index et inquiétés comme beaucoup l’on été par le passé. Des voisins ont été incarcérés, leurs domiciles saccagés et leurs biens emportés sous prétexte qu’ils me protégeaient…
La mort physique
Le risque de mort physique qui guette le journaliste dans l’exercice de son métier peux avoir plusieurs origines : la guerre, qui chaque années à travers le monde, coute la vie a des dizaines de journalistes interpelles par le devoir de rendre compte. Mais la mort physique peut être aussi la conséquence de la torture physique (Cas de Samuel Wazizi, NDLR), voir morale, qu’il peut avoir subi du fait de ses activités professionnelles. Sans compter que l’environnement hostile dans lequel il travaille peut facilement le prédisposer à une mort précoce. Ou alors il peut être purement et simplement assassiné par le pouvoir, les puissances d’argent, les cartels de la drogue, des intérêts occultes, etc.
Que de fois j’y ai échappé par un concours de circonstances, comme ce soir de mai 1993 où je fus enlevé devant mon bureau et à bord de ma propre voiture par des individus en civil qui, devais-je apprendre plus tard, avaient reçu mission de m’assassiner et de simuler ensuite un accident de voiture. Ce soir là, malheureusement pour eux, je n’étais pas seul comme c’était souvent le cas après 18 heures. Mon chauffeur m’avait attendu parce qu’il avait besoin d’argent, et un ami qui passait par là avait pris place à bord du véhicule. Une chance inouïe ! » (…)
Mais seulement en mission salvatrice pour son pays, la chance ne sera pas avec lui ce jour tragique du 12 juillet 2010 sur l’autoroute de Norfolk en Virginie aux Etats-Unis où la mort nous l’arracha très précocement comme il l’avait prédit !
C’est vrai, à cause de la stupidité, de la cupidité, de la mesquinerie et du cynisme de certaines personnes, Le Messager, ce monument qu’il a légué au peuple camerounais est dans la tourmente.
Mais quelque soit le sort de cette institution au-dessus de laquelle les charognards et les vautours rodent depuis 10 ans, Le Messager ne mourra pas ! Car « l’esprit Messager » avait été inoculé dans le sang de plusieurs générations qui, aujourd’hui, des quatre coins du monde, poursuivent sans tambour ni trompette le combat de Pius Njawé. Repose en paix camarade combattant !
Source: Felix Njine