Il y a quelques jours, j’ai eu un haut-le cœur en parcourant une déclaration publiée le 6 octobre 2020, par M. Guibaï Gatama, porte-parole du Mouvement ‘‘10 Millions de Nordistes’’ dans laquelle ce dernier dénonce le non-respect du quota de 30% en faveur des ressortissants du Grand-Nord aux résultats du concours d’entrée à l’ENAM (Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature) pour le compte de l’année académique 2020/2021. C’est alors que je décide de rechercher les fondements de cette répartition.
Il me revient que la représentation des groupes ethniques au sein de l’administration publique Camerounaise était l’une des réponses sociales de la Politique d’équilibre régional (PER) engagée par le Président Ahidjo et poursuivie par son successeur Paul Biya. Cette politique n’est pas propre au Cameroun. De nombreux pays par le monde la pratique. Et le nom le plus souvent utilisé est la « Discrimination positive ». Au Cameroun, la légalité de ces critères réside dans la politique des quotas régionaux qui répartit les places entre régions et une certaine catégorie de citoyens.
En effet, par décret n° 82-407 du 07 septembre 1982 (modifiant et complétant certaines dispositions du décret n° 75-496 fu 3 juillet 1975 fixant le régime général des concours administratifs), Ahidjo légalise la pratique des quotas au Cameroun. Cette pratique il faut le signaler avait cours dans toutes les sphères de l’état depuis l’indépendance. En application de cette loi, Le 4 octobre 1982 l’arrêté d’application du ministre de la fonction publique fait la répartition suivante : Province du Centre-Sud 19%, Est 4%, Littoral 12%, Nord 30%, Nord-ouest 12%, Ouest 13%, Sud-Ouest 8%, Anciens militaires 2%.
Sur quelle base ces quotas ont-ils été établis ?
Les statistiques sur les caractéristiques ethniques et dont le poids démographique des différents groupes qui composent la population du Cameroun auraient jouer un rôle majeur dans cette répartition. Or, les statistiques « ethniques » sur lesquelles se fondent cette prescription et partant l’organisation politique et institutionnelle, des rapports entre les groupes est désuète et des plus controversée. La collecte des données démographiques au Cameroun après des efforts appréciables marqués notamment par les recensements de 1976 et de 1987 a été rattrapée par nos atavismes. Depuis lors, malgré le fait que le pays participe à presque tous les programmes internationaux d’enquêtes et de recensements, des difficultés de tout ordre font douter de leurs résultats. Du moins de leur fiabilité. Un fichier d’état civil défectueux venant compliquer davantage la situation. Ceci explique la forte impression d’arbitraire quant à la répartition des quotas. Comment peut-on établir des quotas de populations alors que depuis 1987 le questionnaire du recensement ne permet pas de collecter ces données ?
La région (province) une notion ambigüe
Le décret n° 82/407 du 7 septembre 1982 qui institue les quotas par région dans les concours et recrutements à la fonction publique et dans les grandes écoles sont des concours régionaux et non nationaux. Ce décret prévoit enfait que la répartition des places pour les concours de la fonction publique tienne compte de la « région d’origine » des parents. A la lecture on pourrait croire à une répartition des places selon un critère purement territorial ou géographique. Que non ! Il y a ici une substitution de l’origine géographique par l’extraction ethnique. La distribution initiale bien que s’appuyant sur une quotité par rapport aux effectifs de population en général, s’achève plutôt par une répartition aux ethnies indigènes. C’est de la pure tricherie.
L’exacerbation de l’exclusion sous le couvert des quotas devenus ethniques
Le 11 janvier 1984, alors qu’il prête serment Paul Biya annonce qu’il est nécessaire de passer du stade de l’unité nationale à celui supérieur de l’intégration nationale. A cet effet, il annonce que ” chaque Camerounais doit se sentir chez lui partout au Cameroun “. Nonobstant cette déclaration et à la suite de l’éclatement de certaines unités administratives d’alors cette répartition est réactualisée le 20 août 1992 comme suit 5% de places à l’Adamaoua, 18% à l’extrême nord, 7% au nord, 15% au Centre, 4% à l’est, 4% au sud, 13% à l’Ouest, 12% au Littoral, 12% au nord-Ouest et 8% au sud-Ouest. Anciens militaires 2 %.
Alors qu’on se serait attendu à une évolution positive telle que prescrite par l’intégration nationale tant vantée, Paul Biya fait une volte-face en renforçant la politique de l’équilibre régional déjà alors très décriée car elle s’était révélée être un frein au développement de certains groupes ethniques. Ainsi, dans la constitution du 18 janvier 1996, est introduite les notions d’« autochtones », d’« allogènes » et de « protection des minorités ». Dans cette foulée, et vu l’importance que revêt désormais cette question sur la préservation de la paix sociale, le décret n°2000/696/Pm du 13 septembre 2000 fixe le régime des concours administratifs. Il reprend en son article 60 la disposition sur les quotas des places réservées aux ressortissants de chaque « province » et renvoie cette fixation à la compétence du Premier ministre.
L’absence d’une autorité de contrôle
En l’absence d’une structure de contrôle, des groupes d’intérêt se sont mis en place et c’est ce qui explique que tous les résultats de concours sont scrutés sous le prisme de l’origine ethnique des candidats. D’où certainement la dénonciation du Mouvement 10 millions de Nordistes. Le La’akam du temps où son représentant n’était pas encore allé se prosterner devant le Roi des Bell à Douala et se prostituer pour le gouvernement de Paul Biya dénonçait la portion congrue attribuée aux Bamilékés. Les Bassa et Sawa en font autant. La sénatrice Alliance Aboui, parlant au nom des populations de l’Est dont les originaires occupent le poste de Ministre de la fonction publique depuis 2000, déclare : « Il devient plus qu’urgent que l’Etat du Cameroun pense à un relèvement du quota réservé aux candidats de la Région de l’Est dans les concours administratifs. » C’est à qui vocifèrera le plus. On en est rendu à une république fédérale des ethnies.
Cette absence de contrôle est du pain béni pour les pontes du régime et toute la racaille prébendière nationale. Dans cette foire, toutes les formes de trafic sont possibles. Les scandales se multiplient. Des morts admis sans avoir composé aux vivants ayants été admis à des concours différents ayant eu lieu le même jour et à la même heure tout y passe. Il faut être né du bon côté. C’est ça l’équilibre régional si cher au Président.
Biya et sa boîte de pandore
Si la politique des quotas ethniques consacrée par l’autorité politique au Cameroun pouvait se justifier dans les premières décennies de l’existence de ce pays, l’absence d’un calendrier de régression de cette pratique l’a rendu incompréhensible. Pis encore, son renforcement à des fins de clientélisme politique par Paul Biya en a fait une boîte de pandore qui est entrain de mettre à mal le vivre-ensemble, ce concept creux et galvaudée que les « créatures » ne cesse de rabâcher aux oreilles des Camerounais.
Au moment où j’achève ce papier, je découvre le coup de gueule de Emmanuel Mvé Elemva, ancien capitaine des Lions Indomptables et actuel président général du Canon sportif de Yaoundé qui s’écrie « Nous ne pouvons pas comprendre qu’une seule région de ce pays veut faire main basse sur le football camerounais ». C’est cuit ! Paul Biya et ses « créatures » ont définitivement tué le Cameroun.
Correspondance de : David Manga Essala