A la suite du massacre des enfants de Kumba survenu le 24 octobre 2020, nous avons observé différents types de réactions dans le landerneau public camerounais, notamment sur les médias sociaux.
Au nombre des réactions universellement partagées, nous avons retenu l’expression de l’émoi, du choc à notre conscience humaine et conséquemment la condamnation ferme du meurtre abjecte de ces enfants. Même les plus véhéments partisans de la sécession ont, pour cette fois au moins, condamné l’acte difficilement qualifiable. Ce qui démontre que même les tenants d’une lutte armée pour “libérer leur peuple” ou “restaurer leur indépendance” disposent de quelques principes et manifestent officiellement qu’assassiner des enfants, c’est commettre l’impardonnable, l’irréparable.
Du côté du Gouvernement, sans que l’enquête ne soit close, s’est-on empressé d’accuser les “sécessionnistes terroristes” dont on aurait déjà « neutralisé » un des coupables. La tuerie date du 24 octobre 2020.
Face à cette horreur inqualifiable, l’indifférence et l’insouciance qui caractérisaient une bonne partie des populations ont été sérieusement bousculées. Amenant des personnes qui, il y a peu, estimaient ne pas devoir se mobiliser à dire « Trop c’est Trop ».
Ce “Trop c’est trop” s’est traduit par deux types d’appels, frontalement opposés : #EndAnglophoneCrisis contre #EndAmbazoniaTerrorism. Renvoyant unilatéralement les responsabilités vers des responsables désignés.
Mais de quoi s’agit – il précisément ? Quel est le mot d’ordre le plus approprié à notre avis ?
I – End Ambazonia Terrorism
Pour les tenants de ce mot d’ordre, le problème principal dans cette situation de crise et de guerre, c’est le terrorisme des partisans de l’Ambazonie. Ce terrorisme a sévi, cette fois, sur les enfants de l’école Mother Francisca International, le 24 octobre 2020.
Avant cela, il a sévi sur Florence Ayafor, Comfort Tumasang et tant d’autres personnes. Il sévira, hélas, encore dans l’avenir proche ; nous avons le devoir de le stopper : vite et de manière ferme et définitive. Quitte à employer les moyens les plus rugueux dont dispose l’État.
Ce terrorisme se manifeste par toutes sortes d’actes de barbarie et de sauvagerie sur les civils et autant sur les forces de défense et de maintien de l’ordre.
Ce terrorisme installe l’insécurité et empêche toute activité. C’est grâce à lui que les opérations de « lockdown » et de « ghost town » persistent.
Voici le principal levier et la principale logique d’intervention des ambazoniens. Voici l’arme des lâches, des gens incapables d’affronter frontalement l’armée régulière.
A travers la violence morale, psychologique et physique qu’il exerce sur les populations civiles, le terrorisme ambazonien veut entretenir d’une part, l’illusion d’une adhésion des populations au projet sécessionniste, d’autre part l’idée de la persistance de la crise.
Pourtant si on regarde de près, d’après les tenants du mot d’ordre « End Ambazonian Terrorism », on constatera que les « terroristes sécessionnistes » sont en déperdition. Ils sont en déroute totale. Ils ne savent plus quoi faire.
Pour survivre et retarder leur chute, ils sont obligés de révéler leur vrai visage à la face du monde, à savoir, celui de la bestialité, de l’inhumanité et de l’horreur.
Ce faisant, ils démontrent qu’ils n’appartiennent plus à la communauté des humains, des personnes civilisées, des personnes avec qui l’on peut parlementer. Ils deviennent les ennemis de la vie et doivent purement et simplement se voir ôter cette même vie dont ils ne sont plus dignes.
Les tenants du mot d’ordre « End Ambazonia Terrorism » prescrivent donc de se focaliser sur la neutralisation et/ou l’élimination de ces « déchets » humains. En le faisant, créent-ils les conditions de la mise en œuvre des mesures rationnelles, raisonnables et républicaines de résolution d’une crise (anglophone) dont les fondements sont connus et incontestés ?
Pour eux, en bref et en définitive, mettre hors d’état de nuire ces « terroristes sécessionnistes » équivaut automatiquement à créer les conditions de la possibilité d’une résolution totale des problèmes des populations du Sud – Ouest et du Nord – Ouest.
Mais que pensent les tenants du mot d’ordre « End Anglophone Crisis » ?
II – End Anglophone Crisis
Pour les partisans de « End Anglophone Crisis », les nombreux rendez – vous manqués sont à l’origine du désastre de Kumba. Convoquant le temps long (Réunification de 1961) et/ou le temps court (Début de la crise en 2016), ils attribuent à la mauvaise gestion des revendications, la violence de l’Etat, l’embastillement des leaders originaux (et) pacifiques, le simulacre de dialogue national (grand par le titre, ridicule par les fruits) et la stratégie militaire sans nuance et impitoyable, les données qu’il faut avoir en tête pour comprendre la situation actuelle et envisager une sortie de crise.
La montée des sécessionnistes dans l’opinion (d’abord anglophone), la prise des armes et les atrocités que nous observons sont la conséquence d’une logique de régime à Yaoundé, visant à ne traiter sincèrement et convenablement les demandes portées par les organisations membres du Consortium qu’avec le logiciel de la furie.
Si ces derniers dénoncent et condamnent la violence, d’où qu’elle vienne, ils réitèrent que cette crise ne peut pas être traitée uniquement sous le seul prisme de la force martiale. Ils estiment qu’il faut assurer la sécurité mais que cette dimension sécuritaire ne constitue qu’une conséquence et non l’enjeu principal.
L’enjeu principal, c’est le besoin d’autonomie et le refus de l’assimilation des ressortissants de l’ancien Southern Cameroon qui se traduit par au moins quatre éléments :
– Plus de pouvoir de décision au niveau local
– Plus de moyens pour implémenter les projets de développement importants
– Plus de sécurité et de protection
– La reconnaissance et la préservation de leur identité à travers les sous – systèmes judiciaire et éducatif (a minima)
Ces questions clés sont aujourd’hui occultées par la guerre. Pour avancer, il faut pouvoir
– Ramener la sécurité dans un premier temps
– Reprendre le dialogue et les négociations dans un second temps
– Sceller de manière formelle le nouveau consensus socio-politique dans un troisième temps.
Dès lors, les partisans du « End Anglophone Crisis » mettent l’accent sur la nécessité d’une réponse globale et multidimensionnelle à la crise. Ils insistent sur le fait qu’il faut trouver un moyen d’adresser « les racines » de la crise actuelle et de cesser de se focaliser sur les conséquences d’une mauvaise gestion de cette dernière.
Dans le contexte actuel, autour de quel mot d’ordre devons – nous tenter d’unir les efforts vers la paix ?
III – LE VEHICULE APPROPRIE POUR UNE MOBILISATION POUR LA PAIX
Pour arriver à s’entendre, il convient d’apporter quelques précisions et rappeler quelques considérations essentielles.
Le “terrorisme” ambazonien n’est pas attribuable à tous les partisans de la sécession. En ce théâtre asymétrique, il y a des gens qui sont partisans de la sécession sans être partisans de la lutte armée. Il y a des partisans de la sécession et qui sont contre les exactions sur les populations ainsi que le massacre des enfants, ils savent cette tactique contre-productive. Qu’on l’accepte ou non, C’EST UN FAIT ! Le commentateur sincère et rigoureux intellectuellement, doit condamner avec la dernière énergie les auteurs de certains massacres, dont celui de Kumba, mais il ne peut et ne doit pas résumer le camp des sécessionnistes aux auteurs de ce massacre, voilà la nuance.
Pour une raison simple : la revendication sécessionniste est un melting-pot sans centralité incontestable de la direction stratégique.
De même, les bavures, les exécutions extrajudiciaires, les tortures et les massacres commis sur les populations par des éléments morbides de l’armée ne sont également pas attribuables à toute l’armée Camerounaise ni à toute la population qui soutient les institutions actuelles au Cameroun.
Il y a des crimes qui sont commis. Certains sont des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Ces derniers sont des crimes imprescriptibles selon les lois nationales et les traités internationaux. Ils doivent être punis comme il se doit.
Mais au-delà des crimes et des horreurs, nous devons mettre fin à cette guerre et résoudre cette crise.
Dans cette optique, n’oublions pas que les violences actuelles dont les populations sont les principales victimes ne sont que les conséquences et les développements critiques d’une crise qui est d’abord sociopolitique.
Bien sûr, dans un contexte de guerre, il faut assurer la sécurité. Pour être précis, il convient de suivre un processus en quatre étapes :
– La sécurisation des personnes, des biens et des lieux stratégiques et sensibles. C’est ce qui se fait naturellement quand les affrontements violents sont intenses et qu’il n’y a aucun pourparlers de paix en cours.
– La stabilisation : c’est l’ensemble des processus et mécanismes conduisant à la désescalade et à un retour à la normale. Elle peut comprendre la négociation d’un cessez-le-feu, le cantonnement des troupes à des endroits précis, ainsi que la reprise d’une certaine normalité dans les activités des populations.
– La transition : Cette étape qui comprend des éléments tels qu’un dialogue national, une démobilisation des combattants armés, des mesures d’amnistie, un mécanisme de justice transitionnelle, des réformes clés (fruits du dialogue équilibré) et l’adoption d’un nouveau pacte politique.
– La reconstruction qui est le processus de réinsertion des ex-combattants, de construction des installations détruites, de réinstallation des populations déplacées et réfugiées sous l’emprise des nouvelles autorités politiques et des nouvelles institutions.
Fort de ce qui précède, il est important de savoir quelle est l’approche la plus pertinente et la plus englobante à adopter.
Dire que la priorité est au « End Ambazonia Terrorism », c’est réduire une crise profonde à ses conséquences, à une partie des acteurs et surtout à la seule dimension sécuritaire ; c’est regarder exclusivement le trou dans lequel nous sommes tombés. Et c’est aussi oublier que pour les populations victimes de cette guerre, il n’y a pas que les abus d’un camp mais les abus des deux camps à examiner, pour les purger.
« End Anglophone Crisis » nous semble plus complet comme but et comme démarche. Ce mot d’ordre comprend la question sécuritaire mais aussi toutes les autres questions soulevées par la crise et au cours de la guerre. Elle suppose de s’adresser aux causes profondes de la crise.
Une chose, pour nous à STAND UP FOR CAMEROON, est claire : chaque fois que nous choisissons de rater des rendez-vous historiques pour régler certains problèmes, ceux-ci reviennent des années plus tard sous des formes encore plus aiguës, sournoises et plus radicales.
Pour une fois, la problématique est sur la table, allons au fond du sujet pour aborder en face la seule solution qui vaille : la refondation de l’État au Cameroun, dans sa nature et sa forme, pour le bien de chaque Camerounais.
Source Facebook: Franck Essi, 03 Novembre 2020.