FARCE ELECTORALE DU 6 DECEMBRE 2020 OU LA CONCRETISATION D’UNE DECENTALISATION EN TROMPE-OEIL
Depuis que l’opposition a décidé de boycotter les élections régionales qui ont eu lieu hier le 6 décembre 2020, parce qu’elle estime qu’elles ne changeront rien, ni sur l’impasse politique dans le pays suite aux fraudes massives lors des précédentes élections, ni pour la guerre civile qui ensanglante les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, puisqu’elles ne répondent pas aux préoccupations fondamentales et légitimes des anglophones, le régime Biya a décidé de bloquer le semblant de normalité qui caractérisait la vie politique dans le pays depuis quelques années. Ainsi depuis des mois, plus de meetings ou de réunions pour les partis d’oppositions même dans leurs sièges ou le moindre mouvement dans la société civile, sans autorisation des sous-préfets. Plus subtile, utilisant à plein, grâce à une justice aux ordres, toute la panoplie juridique sournoisement mise en place depuis quelques années pour étouffer l’expression démocratique, sous le couvert de la lutte contre le grand banditisme, le terrorisme, ou la pandémie du coronavirus, le régime a réussi à suspendre les quelques avancées du pluralisme politique acquises depuis les années quatre vingt dix au prix du sang de milliers de camerounais.
C’est ainsi que n’ont plus droit au chapitre sur le champ politique que le parti au pouvoir le RDPC, ses affidés et les quelques agitateurs de la société civile à sa dévotion, ou n’ont plus grâce à ses yeux que les medias chantant ses louanges. Lorsqu’on ajoute tout cela à la mise sous sa coupe grâce aux fraudes électorales, à la corruption et au tribalisme, des institutions clés de la République (présidence de la République, Senat, Assemblée nationale, communes, justice, armée) , on s’aperçoit que le pays est carrément rentré à la triste époque du parti et de la pensée uniques qui a caractérisé la période la plus sombre de son histoire. Un ensauvagement renforcé par la neutralisation de l’unique centre d’indocilité historique que constituait la communauté anglophone du fait de son héritage libéral d’inspiration anglo-saxonne, par le déclenchement depuis quatre ans d’une guerre civile atroce, en réponse aux revendications légitimes de ses populations.
On arrive à la conclusion que les élections régionales d’hier arrivent donc comme le couronnement d’un patient processus de restauration d’un autoritarisme absolu qui seul peut garantir la survie d’un régime anachronique et hors saison.
Par conséquent, les conseils régionaux qui sortiront de ces élections, n’auront aucun pouvoir, puisqu’ils seront tous sous l’éteignoir du parti RDPC, tandis que toutes leurs délibérations seront soumises au visa du gouverneur, seul détenteur du pouvoir politique local, au même titre que les préfets et autres sous préfets dans les communes. Plus grave, ils n’auront aucun moyen pour mettre en œuvre l’autonomie surveillée que leur concède la loi sur la décentralisation en matière de promotion du développement local. En effet, alors que toute la stratégie de normalisation du pouvoir se réfère aux résolutions du grand dialogue national de l’année dernière, la loi de finances 2021, votée le week-end dernier par le Parlement, a snobé l’une de ses principales recommandations, à savoir la dotation pour les collectivités territoriales décentralisées d’une allocation de 15%du budget national, en la réduisant a des miettes de l’ordre de 6%. Pourtant ces 15% de 4865,2 milliards auraient représenté 729,78 milliards de FCFA.
Un tel montant bien que modestes par rapport à ce qu’il faut pour rendre les collectivités territoriales décentralisée performantes, repartis équitablement entre elles, auraient pu leur permettre ne serait-ce que pour entretenir les routes locales et créer quelques emplois. Il est donc clair que, à l’instar des communes, les conseils régionaux ne vivoteront que grâce à la « magnanimité » présidentielle sous forme de miettes circonstancielles comme les 49,9 milliards alloués le 20 mai derniers par décret du Premier Ministre pour l’année 2020 en pleine tempête politique autour de l’opportunité des élections régionales ou la dotation présidentielle spéciale pour les chefs traditionnels à eux versée à la veille de ces mêmes régionales dont ils sont de potentiels électeurs.
Malheureusement, repartie entre les 375 communes et communautés urbaines ainsi que les dix régions, de telles miettes ne pourront que permettre aux conseils régionaux de payer leurs indemnités de session et de rejoindre l’assemblée nationale, le sénat, le conseil économique et social, au rangs des gadgets impotents mais budgétivores qui meublent le décor extérieur de la démocratie à la Biya, qui cache en réalité une dictature pure et dure qui empêche le Cameroun d’avancer, en le maintenant indéfiniment dans la servitude de françafrique dont il a servi de terre d’expérimentation dès 1958.
E. FOPOUSSI FOTSO