Cher Monsieur le Chef de l’État,
Ici, dans les villages, on dit que les pleurs d’un adulte sont rares. Si, donc, vous faites la rencontre d’un señor (personne du troisième âge) qui sanglote beaucoup, marquez un temps d’arrêt et considérez avec attention le pleureur. Il se peut qu’il soit désespéré, perché au dernier degré de l’étage de la désolation. Il se peut aussi qu’il fasse du théâtre ; qu’il se joue de vous. Oui, en effet, il y a des vieux joueurs, des comiques endurcis, des comédiens sans talent.
Un jour, dans notre adolescence, nous vîmes un oncle, le petit-frère d’un certain père, un riche homme d’affaire, prénommé Germain, qui fut pris d’un rare accès d’émotions braillardes (pleureuses), devant tous ses employés réunis et la grande famille presque au complet. C’était quelques jours avant le Nouvel an. Deux heures auparavant, il recevait la visite de quelques invités de marque, dont un Blanc, un citoyen français. Soudain, il sortit de sa luxueuse maison et se mit à crier et à aboyer, comme un vulgaire villageois : « Au secours ! Au secours ! Arrêtez-les, ils m’ont volé. Ils m’ont fini. » Et le bonhomme feignit de courir vers le portail, d’un pas irrésolu. Il revint sur la trajectoire de son cinéma et les larmes (réelles !) embuèrent ses yeux vicieux ruisselèrent sur ses joues d’envoûté. Et le « tonton » pleura, pleura longtemps, et finit par se réfugier dans ses appartements privés.
Chacun, dans l’assemblée, disait adieu à ses fantasmes nocturnes : les plus jeunes maudissaient leurs sous-vêtements et leurs « sans-confiance » (une sorte de sandales en caoutchouc) qu’ils avaient vus dans leurs songes lubrifiés, pour ma Noël ; une tante venue des lointains, qui emprunta des miettes, des frais de transport, pour venir « fêter » chez son riche oncle, en ville, n’arrêtait pas de se lamenter ; des frères et cousins, dont quelques uns étaient polygames et qui travaillaient dans l’entreprise familiale de leur oncle, voyaient défiler dans leur tête traumatisée les effluves de misères et des rigueurs faméliques épouvantables du mois de janvier. Cependant, toutes ces désillusions et ces lamentations disgracieuses n’étaient rien, à comparer aux torrents de douleurs du chauffeur du Grand patron, qui était torturé par des peines indescriptibles au niveau des yeux.
Le spectacle de cette scène d’humiliation collective et d’animalisation de l’humain laissait un seul spectateur à trente-sept : c’était le vigile de service. Très professionnel, insensible et indifférent à ce remue-ménage insalubre, il intima l’ordre, à tout ce monde de malheurs, de gagner la route et de quitter le camp de son Maître.
Cher Président national de la République,
Ce récit pourrait donner l’illusion que seuls les petites gens, les laboureurs, les ouvriers, les mendiants, les rebus sociaux, les gueux, les crédules et autres damnés sont victimes des mystificateurs. Il n’en est rien. Même les plus puissants de ce bas-monde n’échappent aux serres de ces rapaces ; ils peuvent même promouvoir leur cynisme et revêtir, à leur tour, la tenue de fantaisiste sans cœur. Le temps est à la prospérité des voleurs et des pirates. Les souverains, comme les courtisans et les conspirateurs, tous prennent, au fil du temps, le tempérament des bouffons : c’est Le règne des mystificateurs. Omer Molle, l’auteur de ce livre, en fait le portrait en ces termes : « À côté de quelques savants et praticiens éminents, on rencontre deux espèces nuisibles, aussi curieuses l’une que l’autre. D’une part, de nombreux dilettantes, arrivistes en mal de renommée que tente le caractère spectaculaire de la trop fameuse réforme. D’autre part, toujours davantage de ces demi-tricheur et tricheurs exercés à jongler avec les mots afin de mieux pratiquer leurs talents destructeurs . »
Les conséquences morales et sociales de cette invasion des imposteurs, dans les sociétés comme la nôtre, et dans les universités, sont épouvantables. Ce qui caractérise le règne des mystificateurs, c’est la manipulation systématique des masses, le pillage et l’abrutissement de celles-ci, au profit de kleptocrates (ceux qui gouvernent en pillant la fortune publique) et des parasites dans la « communauté internationale », la promotion des instituteurs de la guerre et l’auto-aliénation du peuple, qui se laisse abandonner dans la misère, la tristesse et un désespoir inouï.
Il est bien loin, le temps où les savants éclairés instruisaient les gouvernants sur les principes des affaires relatives au bien commun. Il nous suffit de lire cette lettre du sage et républicain Solon au Tyran Périandre : « Tu m’écris que tu es environné de conspirateurs. Mais quand tu te débarrasserais de tous les ennemis connus, tu n’en serais pas plus avancé. Ceux-là même que tu ne soupçonnes pas conspireront contre toi, celui-ci parce qu’il craindra pour lui-même, cet autre parce que, te voyant assiégé de terreurs, il n’aura pour toi que du mépris. Enfin, ne fusses-tu pas suspect, il se trouverait encore une foule de gens qui en conspirant contre toi croiraient bien mériter du pays. Le mieux est donc de renoncer à la tyrannie, pour bannir tout sujet de crainte. Si cependant tu ne peux te résoudre à l’abandonner, songe à te procurer des forces étrangères supérieures à celles du pays ; par ce moyen tu n’auras plus rien à craindre et tu ne seras obligé d’attenter à la vie de personne ».
Des penseurs tels que Solon et, récemment, Étienne de la Boétie, auteur du fameux Discours de la servitude volontaire, pour ne citer que ces deux théoriciens, entretiennent une haute idée de la politique et des responsabilités publiques, ainsi que de la justice sociale et les libertés qui leur sont intrinsèquement associées. Ces intellectuels, aux convictions éthiques établies, ont compris le sens et la portée du mot de Rousseau : « Jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe, et c’est alors seulement qu’il paraît vouloir ce qui est mal ». Ainsi, comme les chirurgiens-apothicaires d’antan, ils mettent le fer rouge dans la plaie des comportements liberticides, des abus et de la violence d’État. Ils opèrent ou amputent, à vif, les membres du corps social qui sont gangrénés par ces fléaux, et au mal par excellence dans des pays en construction, à savoir, l’hydre du fonctionnarisme, qui est l’invasion des services publics par des hordes d’agents incompétents, corrompus et dépourvus du sens de l’honneur et de la dignité.
Très cher Grand camarade,
Certes, vous avez opté pour la solution de la protection des forces étrangères, israéliennes notamment. Mais incapable de sortir totalement de la tyrannie, ou de s’y installer définitivement, vous demeurez assiégé de terreurs, et vos courtisans n’ont pour vous que du mépris, puisque vous vous avérez inapte à « bannir tout sujet de crainte ». D’où la stagnation, l’inertie, la gabegie, le pillage en bande organisée et la bêtise qui ont pris leur quartier au cœur de la République.
Malgré toutes ces évidences traumatisantes, les gens qui affirment lire beaucoup de livres, parfois à l’envers, les universitaires des tropiques, qui passent pour des idéologues attitrés du Renouveau, réussissent à théoriser leurs mensonges en les articulant, ainsi qu’il suit : « l’État jacobinn est un impératif. On ne discute pas avec les terroristes ; on ne négocie pas avec les ennemis de la République : il nous faut préserver notre souveraineté, à tous prix et à tous les prix. Soutenons notre Président. Il est notre Bonaparte ! » À l’image des autres acteurs dominants de la Françafrique (système néocolonial de pillage systématique des ressources et richesses des pays africains francophones, au bénéfice de la France, avec la complicité des dirigeants locaux), le Chef d’État devient donc, par la force de la mystification, le Louis-napoléon Bonaparte nègre. Ce faisant, ces lettrés de l’Université parviennent à planter la graine inconfortable de la désillusion, du pessimisme et de l’auto-culpabilisation dans le cœur des citoyens ordinaires et dans celui des acteurs historiques les plus prometteurs.
Il faut leur faire observer, au sujet de l’État jacobinn et de l’empereur français dont ils vantent la doctrine politique, que Louis-Napoléon Bonaparte (empereur des français 1769-1821) est élu Président, avec les conséquences qu’on sait : son double coup d’État en 1851 et 1852, la dissolution de l’Assemblée nationale, les restrictions dans les libertés, l’abolition de fait de la République et la proclamation du second Empire. Mais auparavant, la seconde République aura vécu ; surtout, elle aura préparé, malgré elle, ce retour à la monarchie.
Napoléon Bonaparte fut sacré Empereur, à Paris, le 2 décembre 1804. Il créa des institutions qui ont donné tout son prestige à la France. Il mit en place la Banque de France, les Préfets pour gérer les départements, les Lycées, la Légion d’Honneur pour récompenser les exploits militaires et civils, le Code civil avec ses lois uniques pour tous et partout. C’est pourquoi Hegel voyait, en lui, l’incarnation de l’Idée, la Raison personnifiée dans l’Histoire (européenne), l’« âme du monde » et le fondateur de l’État moderne. À tous ceux qui nous vantent un Bonaparte-Nègre, qu’indiquez-vous à son actif ?
Sur leur manie d’Académiciens-clercs, objectons-leur, aussi, que la responsabilité d’un État, ce n’est point de culpabiliser sans cesse ses citoyens, mais de les édifier et de les élever au firmament de la prise de conscience républicaine. Car, y a-t-il un autre but à signer à l’État que celui de garantir la paix et la sécurité de la vie ? Spinoza écrit à cet égard : « Par conséquent, le meilleur État, c’est celui où les hommes passent leur vie dans la concorde et où leurs droits ne reçoivent aucune atteinte. Aussi bien c’est un point certain que les séditions, les guerres, le mépris ou la violation des lois doivent être imputés moins à la méchanceté des sujets qu’à la mauvaise organisation du gouvernement ».
Mais pour que le souverain parviennent à ses fins, il doit se départir de sa souplesse de félin, prendre ses distance avec cet abandon de soi qui féconde les infidélités envers les pouvoirs établis et qui fait prospérer la pègre et les voyous.
Cher Monsieur le Président,
Notre pays vit actuellement des moments terribles. Et le mot n’est pas assez fort, pour traduire les dérives et les horreurs que nous affrontons au quotidien. Ce n’est pas seulement le tribalisme qui traumatise, mais aussi le pillage, le vol, le goût que certains prennent à piétiner leurs semblables, à les égorger, à répandre la peur, à bafouer la vie. La guerre de tous contre tous n’est donc pas une hypothèse philosophique : elle est la menace le plus immédiate, dont il faut se départir. En ce sens, vous êtes appelé à prendre des mesures fortes. Elles s’imposeront comme des alternatives au règne des mystificateurs et se présenteront comme suit :
« Enterrez l’éloquence militaire et son lyrisme sanguinaire. Mettez en pièces les jouets guerriers. Brûlez les écrits glorifiant la nation ou la race et enseignez aux enfants que les plus grands malfaiteurs s’appellent César, Attila, Napoléon ou Hitler. “Les racines de la paix ?” » Déracinez plutôt les habitudes. Pour cela, cessez de cultiver le romantisme des batailles ; arracher aux armées, pour le jeter à la poubelle, leurs oripeaux grotesques. À vous, peuples pacifiques, de donner l’exemple ! Si vous devez préparer votre défense, faites-le sans étalage ni ostentation. “Ceux qui possèdent la vérité doivent aller vers ceux qui n’ont pas le bonheur de la posséder”. Sinon, on sera en droit de supposer que votre pacifisme, bien loin d’être dans les cœurs, traduit tout bonnement votre regret de ne pas vous trouver parmi les plus forts »
Ces mots, empreints de bon sens, enseignent qu’aucun peuple, dans l’histoire récente de l’humanité, n’a accédé à la prospérité en entretenant la guerre en son sein et en perpétuant des brimades contre les ouvriers de la contradiction, universitaires et opposants, ni non plus en les clochardisant , pour les rendre improductifs, vulnérables et dociles. La conjuration de la guerre et de ses dérives sociales, politiques et culturels passe par l’enracinement de la culture démocratique dans les États multi-ethniques.
Mais cet enracinement des vertus de la démocratie ne peut aboutir, avec des résultats probants, sans que vous meniez une bataille victorieuse contre les racines de notre exploitation séculière, sans que vous combattiez le néo-colonialisme, avec ses métastases : la dette, la dépendance monétaire, les accords coloniaux avilissants, etc. Les pays de la périphérie du monde industrialisé sont, pour la plupart, victimes de la paresse de la paresse intellectuelle des idéologues de la métropole, qui, actuellement, sont inaptes à renouveler le logiciel colonial en vigueur, et d’une instabilité chronique de leurs institutions, qui est alimentée par les convoitises des puissances étrangères et la malgouvernance interne. Ces entités deviennent, de fait, des États de non droit, dont on peut interroger la nature et les fonctions de l’autorité politique.
En principe, si l’on doit se représenter la figure d’un Bonaparte-nègre, celui-ci doit contribuer à incarner, aux yeux de son peuple, celui qui se dresse non seulement contre les pilleurs de la fortune publique, mais aussi contre tout système impérialiste qui serait de nature à maintenir ses concitoyens dans la paupérisation et la sous-humanité. Il dit, aux autorités de l’Hexagone, comme Eva Joly : « Notre prospérité est nourrie de richesses que nous détournons. […] Une France digne de son idéal et de son héritage de 1789 est incompatible avec la Françafrique : ce qu’une génération a fait, une autre peut le défaire. C’est possible » ! S’accommoder du pillage des richesses nationales, au profit des puissances étrangères et aspirer en même temps à la reconnaissance de ses compatriotes, est une inconséquence propre aux dirigeants sans assurance et qui sont dépourvus de vision d’avenir. Pour un leader patriote du continent africain, se résigner à constituer son pays en un simple « réservoir de croissance » de l’ancienne métropole et des nations développés, se laisser « reconquérir » uniquement comme des « parts de marchés », maintenir l’omerta sur les massacres (passés et actuels) des Occidentaux contre les peuples du Sud, contraindre son peuple à ne représenter que l’avenir des autres, sans travailler ses propres aspirations et les codes de sa prospérité, refuser, en outre, de s’émanciper du passé franco-africain terrifiant et le pérenniser dans l’ésotérisme et des compromissions déshumanisantes, c’est trahir son serment présidentiel.
En conclusion, Monsieur le Chef de l’État,
Votre mission, ce n’est pas de travailler à vous sauver, vous-même, mais de vous efforcez à sauver l’homme de la malédiction de la pauvreté et de la guerre, ce, envers et contre tout, même au détriment de votre sécurité et de votre santé.
Terminons ce message national, en vous racontant l’épilogue de la scène par où nous avons commencé ce message. Quelques mois après le vol imaginaire dont il avait été le commanditaire, nous apprîmes que le Blanc qui avait « floué » un oncle d’un village enclavé, suivant les accusations publiques de celui-ci, avait réussi à regagner sa patrie grâce à la magnanimité de ses frères expatriés, puisqu’il était ruiné et n’était plus en mesure de s’offrir de vivre au pays.
Le chauffeur éploré, lui, devint aveugle et mourut dans un dénuement sans nom. D’autres spectateurs de la scène inaugurale de l’enrichissement de l’homme d’affaire périrent également dans de cruelles souffrances et dans la plus effroyable misère. Mais la fin du Bonaparte villageois ne fut pas moins pathétique et exemplaire. Le dernier jour, où son cœur fut pesé sur la balance par les ancêtres, suivant les rites initiatiques de la mystique négro-africaine, au chevet de son lit de mort, à l’Hôpital général, il supplia le médecin : « Docteur, pardon, sauve-moi ! Sauve-moi ! Pitié… » Ce fut en vain. L’ombre maléfique s’effaça, fauché par le Stylo rouge de l’Éternité. Que craignait-il donc tant devant la mort ?
Nul ne saurait y répondre de manière satisfaisante. Une chose est certaine : on vit pour mourir en permanence, en soi, c’est-à-dire pour mûrir et pour laisser vivre. En ce sens, un Renouveau des temps passés, dans la conjoncture actuelle, équivaudrait, à rien de moins, qu’à la manifestation d’une sclérose sociale, le produit des turpitudes de l’aveuglement d’un pouvoir qui se condamne à finir mal.
Vous tous, Louis-Napoléon Bonaparte nègres, devriez vous inspirer des leçons politiques et éthiques de la singulière fin de vie de ce « Tonton », ce personnage hors-normes qui suppliait qu’on le sauvât de la mort, alors qu’il avait eu suffisamment de temps pour vivre au détriment de tous. Tout véritable souverain doit conjurer le sort déshonorant de ce Germain, qui le tente toujours…
Au crépuscule des temps passés, plus que jamais, votre raison d’être, Excellence paulinienne, ce n’est pas de vous sauver : l’urgent, pour vous, le véritable défi, pour votre régime, dans votre dégénérescente mission dirigeante, c’est de sauver l’homme de sa propre dégradation/
Source: Fridolin NKE
Expert en discernement