L’on n’a pas l’habitude de se poser les vraies questions dans ce pays : qui va financer ? C’est l’Etat. Et l’Etat là, c’est qui ?
Les faits :
Le Chef de l’Etat et le Premier ministre camerounais ont pris ce 30 décembre 2020 des décrets portant harmonisation de l’âge de la retraite à 60 ans pour les fonctionnaires et agents de l’Etat. Cette mesure qui peut paraître belle en apparence semble bien être un gouffre financier. En effet, cette mesure politique est déconnectée des réalités et capacités économiques du pays en ce moment. Entre 2018 et 2020, le Cameroun a perdu environ 500 milliards de FCFA dans son budget national (de 5000 à 4500 milliards) et c’est le moment que choisissent les autorités politiques pour augmenter les charges de l’Etat.
C’est très discutable puisqu’il faut penser en ce moment réduction des charges pour atteindre l’équilibre budgétaire. Aussi, sur le plan du modèle social, cette mesure est plus que discutable puisqu’elle arrive dans un environnement jacobin où l’on pense que la retraite est une punition. Un autre modèle serait d’encourager les fonctionnaires à partir en retraite et à se faire une deuxième vie dans la libre entreprise. En effet, on ne peut pas vouloir maintenir des citoyens dans la précarité totale et l’obligation de corruption pour survivre (fonction publique) alors que l’argent et la dignité existent dans l’entrepreneuriat privé. Anyway ! Prenons la calculatrice !
Question économique :
Ma préoccupation aujourd’hui est économique. Ma question est de savoir où l’Etat surchargé et surendetté va prendre l’argent pour financer cette charge supplémentaire. Il existe uniquement 5 pistes :
(1) En 2021 (loi des finances), l’Etat envisage de compter sur la croissance économique. Or avec la Covid-19, le taux de croissance a été négatif dans l’essentiel des pays du monde même si le Cameroun déclare 1,1% en 2020. A noter que même le montant de 4500 milliards de budget en 2021 n’est pas acquis dans la mesure où il est basé sur une hypothétique croissance de 3% (si les ravages des chocs extérieurs comme celui de la Covid-19 s’arrêtent comme par miracle).
(2) Une autre piste est l’amélioration de la gouvernance sauf que dans la loi des finances 2021, ils ont reconduit des lignes superflues que nous avions dénoncées en 2020 dans notre rapport sur le budget notamment celle qui permet de faire des séminaires et autres ateliers à Kribi pour plus de 516 milliards de FCFA. En clair, au regard de la loi des finances 2021, le train de vie de l’Etat ne baissera pas et l’on n’a pris aucune mesure spéciale pour lutter contre la corruption ou pour profiter du télétravail.
(3) Une troisième piste est l’exploitation de nouveaux gisements de mines et autres ressources naturelles sauf que le budget 2021 ne prévoit aucune entrée spéciale issue des mines.
(4) Aussi, il y a la piste de l’augmentation des impôts dans un contexte où les recettes douanières vont continuer à baisser. En clair, il faudra augmenter les impôts pour payer le salaire des fonctionnaires et agents de l’Etat qui seront appelés à travailler 5 ans de plus. En d’autres termes, dans un contexte où 90% des activités économiques sont dans l’informel et échappent aux impôts, l’Etat devra augmenter la pression fiscale sur le peu d’entrepreneurs qui acceptent de déclarer leurs activités (moins de 10%).
En l’état, la pression fiscale est déjà de 57% selon le Gicam et le Cameroun est classé sur cet indicateur 181ème pays sur les 190 évalués par le Doing Business. C’est-à-dire que le Cameroun fait partie des 10 derniers pays du monde à être fiscalement attractifs. Cela signifie en français facile que le pays peine à attirer des Investissements directs étrangers (IDE) ou mieux des capitaux nécessaires pour ses investissements. C’est donc une mauvaise idée que d’augmenter les impôts dans la mesure où de nos jours, même ceux qui fonctionnaient dans le formel cherchent déjà à migrer aussi vers l’informel. Selon Ecam, la durée de vie des nouvelles entreprises camerounaises est de deux ans. Elles meurent ? Non ! Elles sombrent dans l’informel qui leur voue une concurrence déloyale.
(5) Enfin, il n’existe plus que la piste de l’endettement si le pays ne veut pas augmenter les impôts. En clair, il faut briser le principe de l’équilibre budgétaire et du “frein à l’endettement”. Le pays opterait donc dans ce cas d’endetter les générations futures pour financer le bien-être des fonctionnaires actuels, ce qui est incompréhensible et injuste dans la mesure où l’on fait payer des innocents qui n’ont pas demandé à naître des parents qui veulent vivre au-dessus de leurs moyens.
En clair, je voudrais dire dans ce post qu’une mesure politique pertinente est bien celle qui s’accompagne par un plan de financement viable. En l’état, c’est un mode de pilotage à vue économiquement non viable.
Recommandation :
Nous devrons encourager l’Etat à poursuivre sa marche vers les PPP et donc, vers l’externalisation des tâches non essentielles. L’Etat n’a les moyens ni pour assurer une formation adéquate des travailleurs ni pour employer et encore moins assurer leur retraite décente. Seule la piste de l’entrepreneuriat privé est viable. Par exemple, mes collègues universitaires ne sauraient se contenter par mois de quelques centaines de mille qu’un simple consultant facture en une ou deux journées travail. L’on ne peut pas encourager par exemple les professeurs d’université à demeurer fonctionnaires et à vivre de l’indignité financière dans un contexte où leurs expertises valent de l’or dans le privé. On nous dit que les consultants coûtent chers à l’Etat. Non ! Ce n’est pas l’Etat qui paie. Mieux, ces postes de consultants existent actuellement et sont occupés par des étrangers ou nos anciens étudiants de licences ou masters qui s’engraissent considérablement sous nos yeux pendant que nous jouons aux « Grands profs » à l’université dans rien !
C’est donc contre un modèle de société que je suis !
Bonne et heureuse année 2021
Source Facebook:Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA