Dr. Christopher Fomunyoh. J’ai décidé de consacrer la période de pâques 2021, à une visite dans les camps des réfugiés, victimes du conflit armé qui sévit dans les régions du Nord Ouest et du Sud Ouest.
J e reviens du Nigeria, une visite pas du tout ordinaire, car plus que émouvante et à même de soulever une interpellation sur la résilience de l’homme, mais aussi sa méchanceté et son indifférence par rapport aux souffrances de son prochain. J’avais décidé de consacrer la période de pâques 2021, à une visite au Nigeria, dans les camps des réfugiés, victimes du conflit armé qui sévit dans les régions du Nord Ouest et du Sud Ouest.
Il était temps que je m’y rende en personne pour faire l’état des lieux, voir de mes propres yeux leurs conditions de vie, et échanger avec eux par solidarité et pour leur remonter le moral. Oui, j’ai pu voir quelques uns des 70,000 réfugiés mais pas tous; j’ai pu toucher du doigt certaines de leurs réalités, mais de façon rapide et superficielle; j’ai entendu quelques récits sur les causes de leur exil involontaire, de la part de ceux qui avaient le courage de s’exprimer pendant le peu du temps dont on disposait; bref, j’ai vu et j’ai entendu, et je suis rentré déboussolé.
Même pour ceux qui sont devenus sourds aux cris de cœur des victimes internes et externes de cette crise, la sonnette d’alarme venant des camps des réfugiés au Nigeria devrait tous nous interpeller, indépendamment des chapelles politiques ou des perspectives sur le conflit et ses origines.
Ces cris devraient nous interpeller au plus fort de nos consciences individuelles et collectives. Une fois sur place, il se confirme que nos réfugiés ne sont pas seulement logés dans les États frontaliers comme Cross Rivers, Benue et Taraba; ils sont aussi dans les coins plus à l’intérieur du Nigeria comme les etats d’Akwa Ibom et Enugu, et bien sûr les grandes villes comme Lagos et Abuja.
Selon les chiffres officiels du système des Nations Unies, ils sont près de 70,000, mais il s’agit là des personnes recensées et officiellement enregistrées avec les services compétents. Or, comme je l’ai appris sur place, il y en a aussi éparpillés dans les villages et autres coins insoupçonnés qui ne sont pas encore enregistrés tout comme les 4,000 nouveaux cas des arrivées récentes dans l’Etat de Taraba, fuyant les derniers combats de Nwa dans le Donga Mantung.
Ceux enregistrés se considèrent comme étant les plus chanceux, mais dans quelles conditions vivent-ils? Les conditions de vie matérielle et psychologique sont très difficiles.
Dans le premier camp de Ikogyen dans l’État de Benue, on me dit qu’ils sont 12,000, venus de tous les horizons et se sont organisés en 12 communautés pour faciliter la communication et la gestion du vécu quotidien. Et tout de suite vous constatez que même des dons en camions de nourriture n’auraient pas suffit. Les stipends ont été réduits ces derniers temps et se trouvent autour de $7 voir à peu près 4,000 FCFA par mois, et certains n’ont pas perçu les leurs depuis novembre 2020.
Ne posez pas trop de questions pour ne pas réveiller des expériences traumatisantes, mais comment résister alors que l’un des objectifs était justement de se recueillir de leurs conditions et ce qui les a pousséd sur ce terrain d’exil involontaire. C’est ainsi que je tombe sur des témoignages personnels bouleversants, comme l’histoire de cette maman venue depuis la Manyu, dans le Sud Ouest avec son dernier enfant, mais qui n’a aucune information sur ces trois autres enfants qui avaient aussi fui la guerre pour se perdre dans la forêt.
Ou bien cette autre dame handicapée physique qui a été transportée depuis Kumba jusqu’à la frontière par son hôpital traitant, question de lui sauver la vie au moment ou les hôpitaux étaient souvent pris pour cible dans cette guerre fratricide; sauf qu’aujourd’hui elle se trouve dans le camp sans aucun lien de parenté avec qui que ce soit.
La plupart des réfugiés rencontrés sont des femmes et des enfants, et ils sont les plus vulnérables en campement comme dans les grandes villes. Je n’ai pas osé demander à voir le registre d’état civil dans les camps, car les moins de cinq ans sont partout, preuve que beaucoup de naissances ont eu lieu dans les familles des réfugiés. Néanmoins j’ai pu observer deux dénominateurs communs : dans presque tous les campements, le nombre de filles mère est élevé, tout comme le fait que les enfants ont presque tous des visages pâles. Oui, la malnutrition est bien présente dans ces espaces là. Et malgré tout cela, il y a des points de réconfort, comme la résilience de ces réfugiés, leur capacité à être généreux avec le sourire et l’accueil.
La joie manifeste à voir l’un des leurs, tout comme leur détermination à ne pas céder à la déprime et au pessimisme quant à la fin de la guerre et leur retour chez eux. Il y a aussi l’hospitalité des communautés d’accueil qui en pure tradition de générosité africaine, partagent les espaces avoisinants et les petites parcelles de terrains à accueillir ces personnes étrangères qu’ils appellent fraternellement “nos frères et sœurs venus des Cameroons.” L’appellation des années avant la réunification demeure d’actualité dans le Nigeria de ce jour. Et au moment de se dire au revoir, deux images me reviennent : celle de ce groupe des réfugiés à Adagom, près de Ogoja qui a improvisé une danse traditionnelle de la Mezam pour la circonstance, et l’autre des enfants dans tous les sites visités qui, en toute innocence de la cause de leur misère ou ce que leur reserve l’avenir, ont esquissé des pas de danse dans tous les centres de distribution de nourriture, au rythme de la musique improvisée pour les circonstances.
Voilà les anges qui nous interpellent; nous les adultes donc les actions et les paroles ont transformé les erreurs politiques du passé en matériel combustible, et qui à défaut de nous ressaisir rapidement pour trouver une issue politique et négociée au conflit, risquons d’enterrer définitivement toute une nouvelle génération des concitoyens en plus de celle déjà sacrifiée par la mauvaise foi, les bavures et la mal gouvernance de ces dernières décennies.