La facilité avec laquelle la France a fait mieux que fermer les yeux devant la violation de l’ordre constitutionnel au Tchad est un message fort envoyé à la classe politique camerounaise.
C’est depuis le 20 avril 2021 que le monde entier a appris avec surprise le décès du Président du Tchad, le Maréchal Idriss Deby Itno, décédé selon un communiqué de l’armée tchadienne, lors d’un accrochage avec les rebelles du Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (Fact). Par la suite les choses sont allées très vite. Trop vite.
La radio nationale a annoncé immédiatement la mise en place d’un Comité Militaire de Transition présidé par le fils du défunt, le Général Mahamat Idriss Deby, âgé de 37 ans, lequel a immédiatement dissout la Constitution, le Parlement, le Gouvernement et tout ce qui rappelait l’ordre constitutionnel.
Le lendemain, il rendait public la charte de la transition qui donnait les pleins pouvoirs au fils du Président sortant, laissant ainsi les observateurs dans l’expectative devant cette violation de l’ordre constitutionnel qui ailleurs aurait suscité un tollé de protestation quasi unanime.
Ce même jour, un communiqué de la Présidence du Cameroun félicitait le nouveau pouvoir installé à Ndjamena en foulant aux pieds l’ordre constitutionnel.
Une réaction de la présidence du puissant voisin économique faisant écho à un communiqué de la Présidence de la France. « Le Tchad perd un grand soldat et un président qui a œuvré sans relâche pour la sécurité du pays et la stabilité de la région durant trois décennies » a déclaré la présidence française dans un communiqué. Et L’Élysée de poursuivre : « La France prend acte de l’annonce par les autorités tchadiennes de la mise en place d’un conseil militaire de transition, organe chargé de conduire une transition politique d’une durée limitée (…) »Prise d’acte de l’annonce par les autorités tchadiennes de la mise en place d’un Conseil militaire de transition ? On ne pouvait pas dire mieux sur le plan diplomatique pour donner un blanc-seing aux autorités putschistes qui se sont installées par la force des circonstances à la tête du Tchad.
En réalité, la France a fait mieux que fermer les yeux devant la violation de l’ordre constitutionnel au Tchad. Si on doutait que la position de Yaoundé était dictée par Paris, la présence du chef d’Etat français lors des obsèques du Maréchal Idriss Deby Itno est une preuve de ce que la France n’entendait pas laisser planer le moindre doute sur son soutien aux nouvelles autorités tchadiennes.
En toute logique, il est venu avec dans ses bagages une douzaine de chefs d’Etat des pays africains avec qui la France entretient des « relations privilégiées ». C’est tout dire !INTERETS DE LA FRANCEPour les observateurs, l’activisme de la France contraste un tout petit peu avec le silence de ses partenaires Occidentaux, donnant à penser que la diplomatie française avait fait le boulot de déminage en amont pour « négocier la neutralité » de ces puissances souvent promptes à décrier les coups de force comme mode d’alternance au pouvoir.
L’argument que la France met en avant est celui du rôle du Tchad dans la préservation de la stabilité des pays du Sahel. Idriss Deby s’était construit une réputation de gendarme du Sahel en proie à des incursions des mouvements terroristes et islamistes qui se développent sur les ruines des Etats de la région. On parle du G5 Sahel (Mauritanie, Niger, Mali, Burkina Faso et Tchad) mis en place sous le parapluie de la France pour tenter de contrer la progression de la nébuleuse terroriste et islamiste. Sans surprise, tous ces pays étaient représentés au plus haut niveau lors des obsèques du maréchal Idriss Deby à Ndjamena vendredi dernier.La quête de la stabilité au Tchad et dans le Sahel justifie-t-elle que la France ferme les yeux sur l’ordre constitutionnel ?
La réponse est manifestement oui, avec le silence approbateur de ceux qui sont allés en croisade contre les mêmes « forfaits » ailleurs. Une vérité variable qui renseigne sur la considération des Grands principes lorsqu’il est question de néo colonialisme et de l’impérialisme en Afrique. C’est au nom de ses intérêts supérieurs que la France agit. Ceux-ci sont sécuritaires au Sahel. Ils sont économiques au Cameroun.
Plus stratégiques que ceux de la Côte d’Ivoire. Pierre Messmer ancien Gouverneur Colonial français au Cameroun, pour justifier l’écrasement de l’Union des Populations du Cameroun (Upc) parti nationaliste et indépendantiste, disait en 1959 « La France ne peut pas se permettre de ne pas contrôler le Cameroun qui est un verrou central de l’Afrique équatoriale ». Un verrou qui rappelons-le mène au Tchad. Entre autres pays satellites de l’Economie camerounaise. Emmanuel Macron n’était pas né en 1959. Le Président quadra n’a pas connu la colonisation.
On l’aurait imaginé plus distant des pratiques qui heurtent la conscience sourcilleuse de ceux qui se vantent de la défense des valeurs des Droits de l’Homme et des peuples. Il vient de les piétiner au Tchad, montrant que la défense des intérêts supérieurs de la France ne s’accommode pas de la morale. Ni du temps, ni de l’espace. Partant de là, ce qui a été valable dans un cas, le sera tout autant dans l’autre.
Il faut donc s’attendre à ce que la France n’accepte pas de bon cœur au Cameroun une alternance démocratique qui s’inscrive contre ses intérêts. Et ils sont beaucoup plus importants que les enjeux sécuritaires du Sahel qui peuvent d’ailleurs être sous traités par les Alliés occidentaux. C’est ce message (fort) de la France, qu’il est important d’analyser dans les états-majors des acteurs engagés dans la transition générationnelle et l’alternance politique qui se profilent inexorablement au Cameroun
copyright Ouest Echos n° 1185 du 28 avril 2021