La ville de Rouen rend hommage à l’écrivain camerounais, féroce contempteur des colonies et des avatars démocratiques de l’Afrique après 1960.
« Ce n’est pas parce qu’on a rendu l’âme qu’on est vraiment mort », faisait dire Mongo Béti à l’un de ses personnages dans son roman Trop de soleil tue l’amour (éd. Julliard, 1999). La maxime pourrait s’appliquer à celui dont l’œuvre rayonne toujours, vingt ans après sa mort, et auquel la ville de Rouen rend un hommage artistique, dans le cadre de la Saison Africa2020, à travers une série d’expositions et d’ateliers. L’occasion de revisiter l’itinéraire de ce penseur et écrivain camerounais qui vécut en exil en France durant une trentaine d’années.Dans nos archives : Mongo Béti
Né Alexandre Biyidi Awala, en 1932, dans un village du Cameroun, au sein d’une famille de planteurs de cacaos, il a 21 ans lorsqu’il arrive en France, baccalauréat en poche et doté d’une bourse. Le paradoxe d’appartenir à un pays qui ne s’appartient pas le travaille. Nous sommes en 1953, l’Afrique entière rue sous le joug colonial. Comme la plupart des jeunes intellectuels africains d’alors, il fait ses étudesde lettres classiquestout en militant pour l’indépendance, dans des organisations de gauchefrançaises.
Parallèlement, il commence à rédiger ses premiers textes lors de séjours de vacances organisés par la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf). Ses camarades se gaussent : comment peut-on prétendre écrire quand ceux qu’on appelle écrivains sont des génies occidentaux des siècles passés tels Balzac, Hugo, Châteaubriand ? L’horizon paraît inatteignable.
Dénoncer l’iniquité, le mépris, la domination
Mais le jeune homme a du cran. Publié en 1954, Ville cruelle (éd. Présence africaine), son premier roman écrit sous le pseudo d’Eza Boto, marque d’emblée par son réalisme. Ici point de paradis perdu ou de mise en scène d’un continent au passé mythifié. Les héros doivent faire face à l’injustice et à la brutalité de la situation coloniale dans une ville « cruelle et dure avec ses gradés blancs, ses gardes régionaux, ses gardes territoriaux et leurs baïonnettes au canon, ses sens uniques et ses “Entrées interdites aux indigènes” ».
Son deuxième roman, Le Pauvre Christ de Bomba (éd. Présence africaine, 1956), signé Mongo Béti, s’en prend à l’évangélisation missionnaire. Le regard critique de l’auteur n’est pas dénué d’humour. Son personnage du père supérieur est persuadé que Dieu pardonnera aux Africains, « à la condition qu’ils renoncent à leurs erreurs passées et qu’ils prennent la bonne résolution de devenir des bons chrétiens ».
Source: Le Monde