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Le Cameroun de Biya : quarante ans d’une confiscation tribale du pouvoir – Icicemac

Le Cameroun de Biya : quarante ans d’une confiscation tribale du pouvoir

En 40 ans d’un régime hypercentralisé, archaïque, autoritaire et patrimonial, Paul Biya le chef de l’état du Cameroun a procédé à 36 mouvements ministériels. Les listes de ces différents gouvernements qui sont disponibles à tous, circulent comme pour dénoncer ce qui entrera dans l’histoire comme l’instauration du tribalisme d’état. Mieux que ces listes, les profils statistiques ci-dessous mettent la lumière sur une pratique qui ajoute aux déjà nombreuses autres frustrations, et met le Cameroun au bord d’une guerre tribale.

  1.  La tribu comme élément de base de toute recomposition politique

Au Cameroun, les Fang-Beti-Bulu et autres peuples associés tels les Maka, Djem représentent 19% de la population. Les Nordistes constitués entre autres des peuls et “kirdis” forment 32% de la population. Les Bamilékés et Bamouns 24,3 % des effectifs de population du Cameroun. Les anglophones sont estimés être 20% de la population. Sawa et Bassa constituant respectivement 2,5% et 2,2%.

Le président Biya en conseil de ministre

Etant donné que le ministre partage le pouvoir du président, la répartition des postes ministériels est partout perçue comme un élément de régulation de la vie politique. Au Cameroun, les éruptions du Mont Cameroun sont plus prévisibles que les réaménagements ministériels. Parce que la formation d’un gouvernement ne relève d’aucun impératif technocratique ou politique, Paul Biya a usé et abusé du privilège du pouvoir de nomination. Le fameux pouvoir discrétionnaire. Sous lui les rumeurs de remaniements, de promotion à la fonction de ministre ont rythmé le quotidien des Camerounais. Selon les augures, marabouts, charlatans venus des profondeurs du pays, parfois même de l’étranger (Benin particulièrement), sont appelés en renforts à Yaoundé où avec forces incantations, onguents et ablutions ils prétendent protéger ceux en fonction de “ l’opine” de dieu ou attirer sur les aspirants la magnanimité du président-créateur.  Au Cameroun du fait des multiples privilèges et avantages qu’il offre, l’accession à la fonction ministérielle est interprétée et célébrée comme une place offerte à la tribu à la grande table de la mangeoire nationale. Sur cette base la part de chaque composante sociologique est interprétée comme un bienveillante attention du chef de l’état ou comme une rebuffade. Le graphe ci-dessous offre une lecture de cette pratique depuis l’unification du Cameroun en 1972.

  1. Multiplication des fiers guerriers de la forêt équatoriale à la mangeoire

Il est un fait, les Fang-Beti-Bulu ne sont pas les plus nombreux au Cameroun. Lorsque Paul Biya prend le pouvoir en 1982 (ligne verticale sur le graphisme), les Fang-Beti-Bulu disposent de 25% de postes ministériels, les Nordistes 25% également, les anglophones 19.4% et les Bamilékés 13.8%. Au-delà des contingences de l’histoire et du déterminisme qu’engendre la capitale du pays en territoire Ekang qu’est ce qui explique qu’aujourd’hui la part des Fang-Beti-Bulu ait presque doublé avec plus de 40% de postes ministériels ?

Les points d’inflexion et l’allure des profils visibles dans le graphe ci-dessus permettent d’établir que c’est depuis 1985 que Paul Biya s’emploie à “défranchiser” certaines communautés nationales au profit de sa communauté ethnique. En effet, en avril 1984, Paul Biya est victime d’une tentative de coup d’état. Effarouché, il borde son pouvoir en s’appuyant sur ses frères Ekangs[1] qu’il récompense pour avoir défendu son régime et “leur pouvoir”. Pour le faire, il augmente graduellement le nombre de ministères. C’est ainsi que des 36 ministères que comptaient le Cameroun en 1982 on en est aujourd’hui à 70. Cet accroissement numérique a surtout bénéficié aux Ekangs.

Il y a ministre et ministre dit-on souvent pour dénoter de l’importance d’un ministre.  Une lecture attentive du gouvernement actuel dévoile que des cinq ministères régaliens que sont la défense, l’administration territoriale, la Justice, les relations extérieures et les finances, les Fang-Beti-Bulu en contrôlent 2(40%), Les Sawa 2(40%) et 1(20%) par un sectateur anglophone.

Dans la même logique des presque 3000 Milliards de dépenses du budget 2021 les ministres Fang-Beti-Bulu gèrent 40.2%.  Les ministres Bamilékés et bamouns ont 21.4% à dépenser. Aux Nordistes il a été alloué 16%. Les affectations aux ministres anglophones sont de 15.8%. Les Ministres Sawa vont dispatcher 4.9% des dépenses de l’Etat et les ministres Bassa-Bakoko sont chargés d’assurer 2% des dépenses du Cameroun.

Sans que cela soit prescrit la pratique des apanages commencée par Ahidjo s’est renforcée sous Paul Biya qui en a profité pour réserver certains ministères ”stratégiques” aux siens. Une députée (aujourd’hui décédée) se plaignait il n’y a pas longtemps de ce que les Bassa-Bakoko avait perdu l’apanage du ministère de l’éducation où s’étaient jadis succédés les ministres Bassa-Bakoko. A voir ceux qui en ont eu la charge ces vingt dernières années, on peut affirmer que les ministères de la défense, de l’enseignement supérieur, des finances, de de la fonction publique, du Travail et de la Sécurité Sociale, des postes et télécommunications, de l’Administration territoriale, du Commerce, des domaines du cadastre et des affaires foncières, de l’eau et de l’énergie, des mines, de l’industrie et du développement technologique, de la DGSN sont devenus des apanages Fang-béti Bulu.

Gérer une république, c’est atténuer les frustrations diverses et œuvrer au vivre ensemble. Paul Biya a géré par l’exclusion des autres communautés dont particulièrement les Bamilékés et Bamouns. Le désamour de Ahidjo pour les Bamilékés était connu. Cependant, bien que cela soit en dessous de leur poids démographique ou de leur contribution à l’économie nationale, Il s’est employé tout au long de son règne à leur assurer en moyenne 15% des postes ministériels. Puis vint Paul Biya et…  

A l’observation du profil des Bamilékés et Bamouns, il apparait clairement que le divorce entre Paul Biya et les Bamilékés et Bamouns est consommé depuis le lendemain de l’élection présidentielle du 11 octobre 1992. Homme à la rancune tenace, Paul Biya depuis ces élections, pour lesquelles les Bamilékés avaient porté leur choix sur l’aujourd’hui oublieux Fru Ndi et les Bamouns sur Ndam Njoya, a décidé de ne plus accorder qu’une portion congrue des ministères aux peuples de la région de l’Ouest. Cela n’a pas changé depuis lors. Les choses sont même allées de mal en pis tel que le démontre la seule courbe plongeante du graphe. Est-ce la raison de l’aversion des Bamilékés et Bamouns pour celui-là qui le 12 septembre 1992 déclarait à Bafoussam “ l’ouest fait partie intégrante du Cameroun ! Le Cameroun se fera avec l’ouest ou ne se fera pas !”. Avec aujourd’hui 8% de ministres parmi lesquels un ubuesque retourneur de veste, Paul Biya finalement aura fait son Cameroun sans les Bamilékés et les Bamouns.

Afin que nul n’en ignore le début de la régression des Bamilékés fut actée après une rencontre bipartite à l’hôtel Mont Fébé de Yaoundé lors du post-mortem des élections présidentielles de 1992. Ce conclave avait été convenu pour comprendre pourquoi les populations de la province (région) de l’Ouest avaient massivement voté pour le candidat de l’Union pour le changement John Fru Ndi.  A ce face à face, Charles Onana Awana représentait Paul Biya et conduisait les élites Ekangs. En face le patriarche Koloko Lévis Claude et quelques leaders Bamilékés. Dès l’entame de la rencontre le patriarche de Ngoulémakong accusa les Bamilékés d’avoir voté en masse contre le régime de Biya. Dans un échange devenu célèbre, Charles Onana Awana engagea :

  • Vous avez tourné le dos à Paul Biya, qu’est-ce qu’il vous a fait alors qu’il vous donne tout.
  • Charles…tout donné tu dis ? c’est nous qui décaissons.  Vous dites que l’Ouest a tourné le dos au président ? Oui, avec tout ce que vous faites vivre à nos enfants dans le pays, vous pensez que leurs parents à l’Ouest vont réagir comment ?  Et la politique qui étrangle nos affaires…. Vous dîtes quoi ? 

Dans cette lancée, le patriarche Kadji Defosso se levât et tentât d’interrompre Lévis Koloko en Fe’efe’e, langue du Haut-Nkam :

  • Lévis si sie’. O si gheu fah. Po ka jhio….. (Lévis assieds-toi. Ne parle pas comme cela. Ils vont te tuer………)

Et Lévis Koloko de répondre

Po jhia ma yah ka ghu ka ? Si ma mboh wua ba. Po ya jhi pouh nkua su ?  (Si on me tue ça fait quoi, à mon âge, je ne crains plus la mort. Combien d’enfants n’ont-ils pas déjà tué ?)

D’autres accrochages vont avoir lieu au cours de cette houleuse rencontre au sortir de laquelle comme le montre les faits Paul Biya tourna le dos à l’Ouest.

Revenant sur le profil des Bassa-Bakoko, la situation est un tant soit peu légèrement différente pour les Bassa- Bakoko. Bien qu’ils se soient battus pour l’indépendance de ce pays, les Bassa-Bakoko, du fait de leur poids démographique n’ont pas toujours eu un accès à la mangeoire qui leur satisfasse d’où leur frustration. Visible sur le graphisme, l’âge d’or en nombre de ministres a lieu entre 1992 et 1996 lorsque les Bassa-Bakoko comptaient pour environ 9% du corpus des ministres à la suite de l’accord politique entre l‘UPC de A.F Kodock et Le RDPC.

  • L’épreuve de la succession face au bouclier granitique :

De la république exemplaire en construction dont il a hérité et qui aspirait à ce que ses enfants “de l’ouest à l’est soient tout amour”, Paul Biya a au contraire perfectionné les pratiques d’un autre âge pour permettre à sa communauté sociologue de conserver le pouvoir. Comme illustré, en assurant une majorité numérique et stratégique permanente à ses frères, Paul Biya a déconstruit le système d’équilibrage et de partage du pouvoir, appelé alors “Axe Nord-Sud ” que le professeur Gabriel Nlep a redessiné en parlant du  Triangle équilatéral, sur lequel reposait la paix sociale au Cameroun. Au soir d’un règne éprouvant pour les communautés non-Ekang, le système mis en place et présenté comme un bouclier granitique s’active pour protéger les avantages du “pays organisateur” et assurer ses lendemains politiques. Cela ne passera pas. Les rancœurs et vendetta sont trop nombreuses pour laisser faire. Devenu prisonnier des réseaux qu’il a créés, Paul Biya n’a plus le temps encore moins les moyens de corriger quoi que ce soit.  Sauf miracle le Cameroun ne survivra pas au chaos dans lequel Paul Biya l’a plongé. Hélas !

David Manga Essala

 Analyste

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[1] Ekang est utilisé ici pour signifier les Fang-Beti-Bulu

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