DECES DU SULTAN DES BAMUNS
Dans le monde en général et en Afrique en particulier, le décès d’un homme, surtout public, est l’occasion pour beaucoup d’en dire trop ; d’utiliser toutes les formules dithyrambiques pour qualifier l’action du défunt en vue d’en faire un être parfait : je ne sais pas le faire et je ne le ferai donc pas.
Je ne peux pas passer en pertes et profits le fait que par son entêtement à défendre Paul Biya, le Roi des bamuns a fortement divisé son peuple au point qu’au début du multipartisme dans les années 90, les querelles politiques se réglaient dans le Noun quasiment à coups de « lance flamme » avec à la clé de nombreux morts et blessés.
Mais sa Majesté était pluridimensionnelle ; aussi, je m’attarderai sur 5 points pour montrer à quel point le Cameroun vient de perdre l’un de ses plus grands fils.
1- Un grand homme
Comment oublier les années de braises pendant lesquelles il a été un acteur majeur ?
Je me souviens d’une époque où le gouvernement avait interdit la parution de tous les journaux privés. Pius Njawe nous a tous réuni pour trouver les actions à mener afin d’essayer de nous sortir de cette impasse.
Parmi ces solutions, il avait proposé de rencontrer les principaux dirigeants de ce pays. Le président de la Cour Suprême Dipanda Mouelle nous a reçus avec beaucoup de respect ; aucun membre du gouvernement n’a accepté de nous recevoir à l’exception du ministre chargé des relations avec le parlement de l’époque Ibrahim Mbombo Njoya.
C’est avec enthousiasme et le un sourire honnête barrant son visage qu’il nous a reçu. Il a écouté nos plaintes avec la plus grande attention et à la fin il a déclaré ; « Ce n’est pas normal. Laissez-moi faire, je vais en parler directement au président de la République ».
L’a-t-il fait ? Ce qui est sûr c’est que quelques temps après, les sanctions ont été levées.
2- Un acteur politique majeur
Dans le débat public, beaucoup d’acteurs insistent sur le fait que Paul Biya a modifié la constitution qui limitait les mandants présidentiels à deux.
Mais combien peuvent dire exactement comment on en était arrivé à introduire cette disposition dans la Constitution ?
Ceux qui ont participé à la tripartite en début d’années 90 savent que les débats autour de cette limitation ont été féroces, le camp présidentiel ne voulant rien lâcher. La veille de la clôture des débats, alors que la nuit était tombé et que les débats risquaient de se muer en pugilat tant les anglophones et le SDF ne voulaient rien savoir, Ibrahim Mbombo Njoya, qui n’était pas encore le Sultan des Bamun, a rencontré nuitamment Paul Biya et lui a tenu à peu près ce discours que je cite de mémoire : « Monsieur le Président, il faut faire quelque chose pour sortir de la crise. Si les opposants n’ont aucune perspective d’arriver aussi au pouvoir, le calme ne peut pas revenir. Fixez une limite du mandat à 2, 3, 4 ou 5 ; mais fixez une limite ». Paul Biya est condescendu à la fixer à deux : la suite montre qu’il n’y croyait pas. Mais c’est un autre problème.
3- Un homme loyal
Au plus fort de la crise entre Paul Biya et Ahmadou Ahidjo, ce dernier (dont je suis un fan absolu), a demandé aux ministres du Grand nord et musulmans de démissionner, exactement comme il avait fait en fin des années 50 pour avoir « la peau » du premier gouvernement Camerounais dirigé par André Mbida.
C’est Mbombo Njoya qui a sonné le vent de la révolte en indiquant ne pas comprendre cette volte face du président Ahidjo : je pense qu’il a eu à ce moment-là, le bon jugement.
4- Un homme populaire
J’adore les gens qui savent se faire respecter. L’Administration camerounaise a placé les chefferies traditionnelles dans des « cases ». Il y a les chefs de 1er degré, de second degré, de 3ième degré…
Le Sultan Njoya n’avait que faire de cette classification qui ne tenait aucunement compte de la réalité du terrain ; ne relevant que de l’esprit fertile de certains fonctionnaires oisifs.
Il ne cessait de rappeler à tous, surtout aux autres chefs, qu’il était un « ROI » et que par conséquent, il échappait à toute classification administrative.
Selon moi, il était sans AUCUNE CONTESTATION possible, le Chef le plus populaire de la Région de l’Ouest. En l’absence de sondage scientifique, je me souviens des obsèques de Françoise Foning dans notre village Johny Baleng : tout le Cameroun qui compte était présent. Le Sultan des Bamuns, comme pour tester sa popularité, a quitté la place des cérémonies pour se rendre au carrefour Môtissong à pieds, suivi par une foule comparable à celle qui suit à chaque déplacement, une star d’Hollywood : personne n’a fait mieux.
5- Un homme aux plaisirs simples.
Je finirai par une image qui m’a marqué : celle de Mbombo Njoya, pas encore Sultan mais déjà plusieurs fois ministre, jouant au football sur la plage de Kribi avec mon oncle Paul Panka et certains de leurs amis communs.
Le Cameroun perd un très grand homme : c’est incontestable. Mais qu’Allah fasse que son successeur continue sur cette voie et apportant un plus dans le maintien de l’unité de ce grand peuple qu’est le peuple Bamun.
Source: Benjamin Zebaze
Titre de Icicemac.Com