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LE SOMMET FRANCE-AFRIQUE DE MONTPELLIER ET L’EMPRISE DESESPÉRÉ: LES DOUTES ET LES RÉSERVES DE L’HISTOIRE – Icicemac

LE SOMMET FRANCE-AFRIQUE DE MONTPELLIER ET L’EMPRISE DESESPÉRÉ: LES DOUTES ET LES RÉSERVES DE L’HISTOIRE

Le destin des Chaînes est d’être cassées.

Ceux qui enchaînent posent un acte définitif, dans la mesure où leur conscience de l’Alternative à la rupture des Chaînes se présente essentiellement sous la forme d’un boomerang dramatique.

C’est pourquoi l’enchaînement est un acte définitif.

De même, c’est pourquoi la Rupture des Chaînes est révolution authentique.

L’un des effets les plus corrosifs de la violence coloniale sur l’Afrique et l’une des conséquences les plus dramatiques du Projet colonial sur les Africains, c’est de leur avoir oblitéré le sens de la nécessité, le sens de la réalité, le sens des mots.

Il en découle un réel malaise et un réel doute quant à la réception du discours dans un contexte de Surdité où les mots n’ont plus leur sens…

Depuis le début de cette affaire, je m’emploie à un effort extrême de réflexion pour identifier les garanties probantes d’une réception sereine de la Collaboration pipée, en vain. Rien!

En dépit des meilleures dispositions et de tous les efforts de réflexion, je suis invariablement ramené à l’irréductible réalité des structures opératoires de l’histoire. L’histoire est sceptique. C’est l’histoire elle-même, c’est-à-dire la réalité du temps, qui semble irréductiblement rétive à cette Collaboration bizarre non entre Achille Mbèmbè et Emmanuel Macron, mais bien entre l’Afrique dont le premier entend mobiliser « les forces vives » et la France que le second ne saurait ni embarquer ni décider dans cette démarche improbable et contre-nature.

Depuis le début de cette affaire, la majorité des Africains relativement attentifs ne s’est pas relevée de la stupéfaction devant ce qui apparait aux yeux de ceux qui –comme moi –lui reconnaissent encore toute son intégrité et sa bonne foi, une grossière et lamentable naïveté. La naïveté, c’est le plus respectueux et le plus décent attribut qui rend compte de la démarche de collaboration d’Achille Mbèmbè et Cie à la énième infantilisation des Africains. Grossière et lamentable naïveté, que le philosophe universaliste appelle naïvement dans son explication, la « curiosité intellectuelle ».

J’ai parlé des Africains “relativement attentifs”, parce que ceux qui ont suivi sa collaboration au GEMDEV, un de ces innombrables outils que l’Empire mobilise pour développer la connaissance destinée à entretenir la cristallisation du projet colonial à travers les sciences sociales et humaines[1], étaient déjà au courant de son identité intellectuelle, Senghor, Mudimbe, Memel-Fotê, Mabanckou, Mamadou Diouf et tous les autres du Clan de « la complicité locale », de « l’appropriation indigène », de « la faute partagée », de « la logique interactive » et de « la continuité historique »; tous, de la caste des prêtres africains d’un Dynamisme génétiquement amorphe dont la vocation, coloniale, est de distraire les Africains de la voie du Relèvement révolutionnaire. En effet, ceux des Africains qui, contraints de leur métier à suivre assidument les marqueurs littéraires de son intellectualité, plus loin au-delà de La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun[2], ont clairement perçu qu’Achille Mbèmbè ne fera pas partie des révolutionnaires. La participation de Mbèmbè à l’analyse coloniale française de l’Afrique ne date donc pas d’aujourd’hui! Comme l’écrasante majorité des Africains, il n’a pas eu la chance de recevoir le vaccin diopien, et la nature de son contact à la France est fondatrice d’une intellectualité certes chatoyante, mais naïve, errante et stérile.

Achille Mbèmbè fait partie de la composition, de l’altérité, de la relation, de l’universel.

Il semble définitivement clair qu’autant les Africains lui sont éternellement reconnaissants du geste de 1996, autant Um lui renierait vertement sa paternité aujourd’hui. Autrement dit, autant le compte rendu historien que Mbèmbè développe de l’anticolonialisme indépendantiste kamerunais est éternellement édifiante, autant sa philosophie de l’histoire de l’Afrique est profondément erronée et fondamentalement biaisée par le cancer senghorien de l’universalisme, de la composition, de l’altérité, de la relation.

Depuis le début de cette affaire, je suis répétitivement le discours d’explication, de justification, de légitimation et de mobilisation qu’Achille Mbèmbè délivre dans les cercles savants comme dans les Réseaux sociaux, à la télévision et à la radio, avec la préoccupation de comprendre, de saisir le moindre bout qui tienne la route, en vain.

Aucun des concepts centraux qui soutiennent sa démarche ne résiste à la science. La science étant, en guise de rappel pour ceux qui auraient été distraits, l’effort structuré ou méthodique de connaissance du réel ou de la réalité.

Depuis le début de cette affaire, bien que très rapidement revenu de la stupéfaction devant son engagement à collaborer à la réflexion macronienne sur les rapports Afrique-France[3], j’ai beau chercher comment lui trouver du crédit, j’ai beau chercher comment lui donner du crédit, j’ai beau chercher par quel bout me rassurer de sa démarche, j’éprouve un mal fou à entrevoir même une once de promesse.

A contrario, j’ai le sentiment malaisé d’un bis repetita, alors que je me rappelle un débat morgueusement porté par l’élite française d’État il y a quelques années, sur « les aspects positifs de la colonisation ».

“Les aspects positifs de la colonisation”…, funeste héritage du narcissisme obtus des renégats, de l’égotisme naïf et vicieux des ministres de l’Union coloniale, de la filiation directe de Houphouët Boigny, Senghor et tous les autres Garçons de course d’hier et d’aujourd’hui, pitoyables fusibles de la Trahison continuée et du Drame enraciné.

En guise d’argument à ses contradicteurs, Mbèmbè avance la nécessité du mouvement ou plutôt du démènement, peut-être du progrès ou en tout cas de la marche, par opposition à ce qu’il appelle dédaigneusement « l’immobilisme ». Achille Mbèmbè identifie ainsi l’immobilisme à « Cheikh Anta Diop, Thomas Sankara, Kwamè Nkrumah ».

L’affirmation de l’argument pragmatiste –auquel le Génie colonial a fermement réduit et bloqué l’intelligence des Africains –porté dans ce raisonnement est un aveu d’incapacité, limite de l’intelligence et du potentiel de détermination et de déploiement de son existence.

Je formule cet énoncé à dessein à l’adresse de justifications resignées et paresseuses.

Le pragmatisme, c’est quand on confesse que l’on ne peut faire autrement, quand on avoue que l’on ignore comment faire autrement; et surtout, quand profondément dissipé et obtus par la Violence de l’enchaînement colonial, on est vide de soi, incapable de référer à un soi aliéné, devenu rien, qui se trouve obligé, pour exister, de se voir dans son Geôlier, alors même que Louverture, Garvey, Firmin, Diop, Obenga, James, Clarke, etc., Boganda, Modibo Keita, Um Nyobè, Cabral, Lumumba, Samora Machel, Biko, Rawlings, Sankara, Gbagbo ou Kadhafi ont montré la voie et identifié les ressources de l’aventure de renaissance.

L’argument du pragmatisme, c’est quand l’intelligence fait défaut[4], quand l’intelligence abdique devant l’arbitraire, la contrainte et le diktat de la factualité opératoire.

Il y a quelques semaines, dans une conversation très amicale de deux puissants vieux amis, l’un rétorquait à l’accusation de l’autre, « C’est celui qui le dit qui l’est »[5]… Appliqué à l’argument désespéré de « l’immobilisme » : de celui qui suggère une reconstruction radicale de son histoire par l’abattement des structures radicales de son Confinement définitif à la périphérie de l’histoire, de sa projection historique, ou de celui qui accompagne le totalitarisme du Statu Quo colonial, qui incarne « l’immobilisme »?

Dans une lucidité étincelante, Kwame Nkrumah déclarait il y a une soixantaine d’années :

« Pas un seul État africain actuel ne peut réussir la transition vers un développement réel dans une démarche individuelle et isolée. Seule une Afrique unie fonctionnant sous un gouvernement fédéral peut vigoureusement mobiliser les ressources intellectuelles, matérielles et morales de nos différents pays, et parvenir ainsi à opérer un changement radical, profond et structurel rapide des conditions de notre peuple. Pour nous, il s’agit tout simplement de saisir avec certitude notre héritage historique en utilisant la puissance politique de notre unité. Tout ce que nous avons à faire est de développer en synergie les énormes ressources et potentiels du continent »[6].

Y a-t-il un potentiel de mouvement, de vie et d’existence authentique plus important?

Pourquoi les Africains sont-ils comme condamnés à servir la paresseuse Dépendance à la Domination suprémaciste et l’oiseux accompagnement de leur périphérisation définitive dans l’histoire? À quel moment les Africains se résoudront-ils à prendre leur destin en main pour revenir à la Lucidité et s’émanciper définitivement de leur subexistence coloniale?

L’Afrique s’est-elle définitivement résignée à la colonialité?

Le mouvement, le vrai, la remise en mouvement, l’authentique mouvement, la dynamique authentique, n’est-ce pas en Cheikh Anta Diop que s’enracinent les conditions de la Réappropriation de soi et de son destin ainsi que des facteurs du Relèvement véritable?!

Y aurait-il potentiel de mouvement plus grand?

De quel côté le mouvement authentique et l’immobilisme se situent-ils? Quel genre d’action se déploie-t-il sur la mort?

Quelle est la valeur, la consistance existentielle et la portée historique d’un mouvement dont l’Erreur et le Vampirisme sont le terreau et la matrice? Le mouvement se trouve-t-il dans l’accompagnement de la Relation coloniale ou plutôt dans les implications mobilisées par la Rupture diopienne?

N’est-ce pas de l’analyse diopienne que le Projet de Relèvement par la reconfiguration endogène fédérale de la territorialité politique africaine?

La démarche de dissolution des frontières coloniales et de constitution de l’État proprement africain, l’immense complexité de cette action ainsi que l’ampleur de son potentiel, représentent l’unique projet dont l’Afrique aura effectivement le contrôle total de l’idée et de la conduite, depuis plusieurs siècles. L’unique projet systémiquement structurant à partir duquel l’Afrique reprendra véritablement l’initiative historique.

Le prodigieux potentiel historique de cet engagement existentiel réside dans son quintuple caractère gigantesque, imprévisible, révolutionnaire, libérateur et reconstituant.

Aussi incombe-t-il aux élites intellectuelles et politiques africaines, dans une intellectualité opératoire définitivement décolonisée et fermement enracinée, qui articule la préoccupation collective d’exister à la connaissance de soi, d’envisager nécessairement et sans délai, une Afrique dont la dynamique sera essentiellement fonction de sa réconciliation avec l’histoire, c’est-à-dire avec son statut historique, son capital historique et son intelligence du monde; une Afrique dont le nouveau mouvement historique sera essentiellement fonction de son identité, c’est-à-dire de sa propre intelligence du monde et des modalités dans lesquelles elle entend s’y déployer.

Alors, de quel côté se trouve réellement le mouvement authentique? Ou plutôt, de quel côté se trouve finalement « l’immobilisme »?

Cheikh Anta Diop a élaboré le contenu du modèle parfait à partir duquel sortir l’Afrique et les Africains de l’inexistence à laquelle le Rapport essentiellement arbitraire et violent à l’autre les a confinés. Ce Rapport n’a pas changé de nature. Même pas d’un iota.

Avec Cheikh Anta Diop, nous n’avons plus besoin de faire comme, de mimer, de plaire, d’être comme, de devenir le Bourreau-Planificateur et le Conquérant froid; nous n’avons plus besoin de démontrer que nous avons [comme tout le monde] la puissance du raffinement, de l’esthétique, de la pensée anthropologique, spirituelle, philosophique, mathématique et architecturale, de l’organisation politique.

C’est avec Cheikh Anta Diop qu’il ne nous reste donc qu’à nous remettre en route. Sinon sur notre route, en tout cas de nous-mêmes, de nos yeux, de nos pieds, vers où nous voulons, comme il nous sied.

C’est ce que Nkrumah, Boganda, Sankara ont voulu suggérer : se mettre immédiatement en route, dans les termes qui sont les nôtres et selon nos propres modalités.

Le délabrement ambiant de l’Afrique et le désespoir qui en découle ne sont-ils pas l’œuvre de la Collaboration à la Relation, de la race des niais et des renégats qui participent de l’enracinement puissant du totalitarisme colonial?

Une des conséquences mathématiques de l’histoire diopienne à laquelle l’existence de l’Afrique est suspendue est la dissolution des frontières coloniales et la reconfiguration endogène fédérale de la territorialité politique africaine. Ceux qui ont compris savent qu’en dehors de cette orientation proprement africaine de l’histoire qui entend dissoudre le Congo, le Liberia, le Niger, le Gabon, le Mozambique, le Togo, l’Ouganda, la Côte-d’Ivoire, le Sénégal et toutes les autres boiteuses et impotentes microscopies coloniales dans une perspective fédérale africaine, l’Afrique a peu de chance de s’émanciper de la Nasse coloniale et donc de l’inexistence historique.

Dans le Rappel synthétique que je fais des implications mathématiques de l’histoire sur le destin actuel de l’Afrique, j’ai montré en quoi et comment.

Comment détruire dans l’intellectualité des Africains les aberrations telles que “Les trois frontières”, “le peuple gambien” ou “la nation nigérienne”? Comment faire entendre que le Tchad, le Mozambique, le Gabon n’ont aucun destin en tant qu’États?

De même, comment expliquer que les Africains soient viscéralement cramponnés à leurs nationalités coloniales tout juste d’existence tropicale?

Qu’est-ce qui explique que nous soyons incapables de voir Au-delà, d’entrevoir et d’envisager la réalité au-delà des Fers?

L’invocation de « l’immobilisme » et sa référenciation à AntaDiop-Nkrumah-Sankara est aussi surprenante, profondément décevante, paresseuse et spécieuse qu’un aveu de compromission…

La stupéfaction provoquée par son engagement est d’autant plus vive que c’est Achille Mbèmbè qui était censé indiquer aux plus jeunes intellectuels africains de faire preuve de plus d’humilité à l’égard de l’Histoire et de la structuration opératoire de l’histoire.

Plus que son engagement, c’est l’argumentaire mobilisé par le philosophe de renom qui surprend.

En effet, comment un intellectuel africain authentique, c’est-à-dire conscient de la trajectoire singulière de l’Afrique dans l’histoire longue et porteur des enjeux capitaux auxquels tient son destin arrive-t-il à identifier la torpeur et la léthargie à Sankara-AntaDiop-Nkrumah pourtant connus pour leurs suggestions révolutionnaires?

Le point est simple : de Mbèmbè&Cie et Sankara-AntaDiop-Nkrumah, il y a nécessairement une des deux intellectualités qui se trompe. Et l’histoire n’est pas du côté des premiers.

L’Actualité intellectuelle et politique africaine manifeste irrémissiblement ce qui est connu sous la désignation de “Syndrome de Stockholm”, ce phénomène qui dit l’incapacité du martyrisé à s’émanciper de son bourreau.

Le projet Macron/Mbèmbè d’accommodation des rapports entre la France et l’Afrique représente un moment symptomatique et symbolique majeur dans l’intellectualité et l’histoire de l’Afrique moderne. Aussi interpelle-t-il nécessairement tous ceux dont le destin et l’existence sont liés à l’histoire et au destin de l’Afrique.

La colonialité a fait échapper aux Africains la vérité que l’histoire est mathématique. Contrairement à la configuration caricaturée et fragmentée du savoir qu’on leur a inculqué et qui structure leur approximatif déploiement intellectuel, l’histoire n’est ni de la littérature –dans l’acception caricaturée qu’on leur a inculquée de la littérature –ni aléatoire.

Dans les connaissances approximatives et sans résonance endogène dont ils se gargarisent des titres et dans lesquelles ils se vautrent, les Africains n’ont toujours pas compris que l’histoire est chirurgicale.

L’histoire de l’Afrique n’est ni un jeu intellectualiste ni un caprice de cet ordre.

Les Autres ont parfaitement conscience de la puissance opératoire de l’histoire. De même, par une formulation inédite dont je suis convaincu que l’enseignement et la vulgarisation dans les écoles et l’opinion favorisera le processus de déblocage de l’encroutement de l’intellectualité africaine à la colonialité, j’ai expliqué dans mon livre récemment paru, en quoi l’histoire est mathématique ou plutôt comment l’histoire accompagne intimement l’existence d’une communauté.

Il s’agit donc d’une question existentielle, c’est-à-dire d’une question de vie ou de mort. On ne joue donc pas avec l’histoire.

Quand on a joué avec l’histoire, on se retrouve dans la situation dramatique dans laquelle l’Afrique se trouve aujourd’hui : zombie, loque, légume.

L’identité et l’existence sont les deux éléments fondamentaux qui donnent sens à la vie. Mais l’identité et l’existence restent vides et aléatoires quand on n’en a pas conscience.

On n’a pas conscience de son identité et de son existence quand on est mort, ou presque.

Seuls l’Afrique et les peuples noirs obéissent à cette implacable logique.

Quand on vous a détruit, réduit à néant, contraint à végéter, celui qui vous a réduit à l’état de légume devient nécessairement et sans aucune alternative votre dieu, votre référence, votre modèle en même temps que votre projet. C’est ainsi que les Africains souffrent de l’obsession coloniale et très darwinienne de faire comme…, de mimer, de plaire, d’être comme…, de devenir le Planificateur-Bourreau.

L’Afrique souffre d’un intellectualisme désinvolte et distrait en tant que produit de la performance de l’ingénierie coloniale. Les naïfs, les niais, les renégats.

C’est la situation de l’Afrique et la condition des Africains.

Le principe du dialogue ou de la discussion est incontestablement positif, notamment lorsque les dispositions des parties en dialogue sont convaincues et dénuées de toute ambiguïté, lorsque les termes de la discussion sont francs, clairs et exhaustifs. Tel ne semble pas le cas de la démarche de collaboration Macron/Mbèmbè&Cie.

Dès lors, ce qui pose problème n’est pas tant la démarche de discussion, mais plutôt le flou de la démarche, son caractère instrumental et spécieux, les non-dits et surtout, la validation quasi solennelle d’un rapport éternel de tutorat entre d’un côté, un tuteur pontifical bienveillant et charitable, et de l’autre un filleul docile qui se serait définitivement accommodé de son statut servile. C’est le grossier rafraichissement du rituel d’allégeance au colon et de soumission du dominé. Ce qui pose problème, c’est le caractère informel, individualisé, sectarisé de cette discussion. C’est la légèreté et la désinvolture qu’elle inspire. C’est le caractère pour le moins aléatoire de son issue. C’est surtout son incertitude ou son improbabilité fondamentale, eu égard à la nature des données, des intérêts et des enjeux qu’une discussion de cette nature engage.

C’est ici en effet, dans ce type d’objet, que la science historienne affirme toute sa capacité de prédiction.

Il est des ruptures qui ne se négocient pas. Des ruptures existentielles, en tant que nécessité existentielle, qui ne se font pas à l’amiable, qui ne sont authentiques que s’ils sont révolutions, émancipation révolutionnaire, détachement révolutionnaire, libération révolutionnaire.

Il n’y a qu’en Afrique que le statut d’intellectuel relève sinon de l’inutile, du moins de l’inconstant ou plutôt de l’aléatoire. L’intellectuel en Afrique, c’est un gadget. Il participe davantage de l’inconsistant et du superfétatoire que du grave, du concerné et du substantiel. C’est une des caractéristiques de l’aliénation et de la colonialité. Ce fait relève de la cohérence coloniale, l’éducation coloniale étant destinée à produire des ouvriers sans aucune emprise décisive sur leur existence collective. C’est cette réalité qui caractérise les pays africains, notamment les États de l’Empire français, quel que soit l’État que vous considérez.

À cet égard, Achille Mbèmbè&Cie feraient-il partie de ce qui apparait comme le gâchis de l’Afrique?

Comme ces vifs Africains qui ont souscrit au Service du colonialisme religieux, Mbèmbè a-t-il définitivement choisi d’accompagner l’Afrique au bout du Cul-de-sac colonial et sur la Fausse piste de l’histoire?

Achille Mbèmbè&Cie seraient-il de ces intellectuels africains dont Nkuitchou Nkouatchet dit qu’on attribue les “prix-bonbons”, consécration exogène des élites indigènes par le colonialisme centripète, comme les propositions infantilisantes des religions imposées, l’opium, le piège définitif; démarche coloniale d’exacerbation des orgueils sympathiques des colonisés qui a toujours fait mouche, pour cristalliser l’universel unilatéral, l’altérité unilatérale, la composition unilatérale, la relation unilatérale…?

De ceux qui n’inquiètent pas le totalitarisme colonial? De ceux qui accompagnent l’Intention de l’enracinement définitif de l’Afrique dans l’histoire coloniale?

Pour ceux qui aiment référer à Fanon en intellectualisant, c’est cela l’intuition de Fanon à partir de laquelle le seul et unique travail consiste à tirer des conséquences simples, honnêtes et radicales, à tous égards, conséquences quant à l’invalidité objective de l’universel, de l’altérité, ou de la Relation, en tant que rapport asymétrique à l’autre.

Il ne s’agit donc pas d’une affaire de rationalisation. Il n’y a pas à rationnaliser.

Il ne s’agit pas d’une affaire de personnes, de courants intellectuels, de points de vue. Il s’agit de la vérité de la réalité, c’est-à-dire de l’histoire telle qu’est construite et établie. Des structures opératoires de l’histoire.

C’est n’est donc pas la microscopique personne de Nôb Nlénd qui doute de la validité de la démarche d’Achille Mbèmbè, c’est l’histoire elle-même qui s’en charge sans effort. Le Mali, la Centrafrique, le Tchad, Serval, Barkhane, Takuba…

Achille Mbembe a construit sa notoriété scientifique sur la vivacité de son analyse du Cameroun colonial. Ses travaux sur le déploiement du projet colonial au Cameroun sont aujourd’hui encore une référence indiscutée. Mais aussi paradoxal que cela soit, sa lecture de l’Afrique est viciée par un biais profond, celui des lustres de l’universel, du cosmopolitisme, de l’altérité et de la relation, dans cette obsession profondément problématique des intellectuels africains pour un universel improbable, douteux…

Je suis le premier à référer à Mbèmbè et donc à reconnaître la puissance de son analyse ainsi que l’honnêteté et la bonne foi de sa pensée. Mais on peut être honnête et de bonne foi, et se tromper. L’approche mbèmbèïnne de l’Afrique dans l’histoire est une erreur qui procède du Biais colonial de la désarticulation intellectuelle en même temps qu’elle participe de la Distraction et de l’accompagnement du Projet colonial.

Et si j’assume de référer à Mbèmbè dans l’effort de connaissance de la réalité africaine, c’est parce qu’autant on peut se tromper de bonne foi, autant parce que de bonne foi, on peut développer des éléments puissants d’intellection de la réalité complexe. Dès lors, des éléments mobilisés par Mbèmbè dans la construction de sa pensée ne sont pas moins authentiques. Autrement dit, et pour mettre définitivement notre propos hors de portée de l’arbitraire, nous dirions que la crédibilité que Mbèmbè a construite repose effectivement sur les éléments de vérité sur lesquels ils surfent [de bonne foi].

À cet égard, rien et aucun a priori ne m’interdit de donner aujourd’hui encore raison à Mbèmbè dans la périlleuse démarche que lui suggère sa « curiosité intellectuelle ». Il se trouve tout simplement que c’est l’histoire elle-même, de ce qu’elle est, de ses organes, de ses entrailles sombres et vraies, de sa constitution, qui lui donne tort.

Je n’ai probablement pas les arguments les plus prévisibles pour disqualifier le projet contre-nature de collaboration dont la théâtralisation et la théâtrale représentation ont été servies à Montpellier, mais la validité ultime des suggestions diopiennes vient de ce qu’elles s’enracinent dans les entrailles sombres et vraies de l’histoire. Et c’est à l’histoire qu’il revient de s’interposer pour établir l’invalidité de la Négociation pipée.

Et l’histoire invalide obstinément la démarche de Mbèmbè et Cie.

À défaut de constituer une énième instrumentalisation et de figurer l’Infantilisation continuée, la Réflexion déroulée et le simulacre de discussion disent des Africains qu’ils n’ont toujours rien compris et rien retenu de l’histoire; que les Africains ne se sont jamais approprié les ressources intellectuelles de leur ré-inscription effective dans l’histoire. [Que] L’Afrique n’est pas sortie de l’auberge.

Pour quelles raisons le Colon peut-il vouloir [enfin] réfléchir et discuter avec le colonisé sur l’incarcération duquel il a construit son empire et établi sa puissance? Le Mali, la Centrafrique, le Tchad, Serval, Barkhane, Takuba…

Tò, Mâlét nkèñi, njèl ú yòn, i yé ihóhà.

Nôb Georges Boniface Nlénd V, Ph.D

(Université Laval, Canada)

Institut québécois des relations internationales


[1] Le GEMDEV, Groupement pour l’étude de la mondialisation et du développement, est un organisme français de recherche.

[2] Achille Mbembe, 1996, La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun (1920-1960). Histoire des usages de la raison en colonie, éd. Karthala, Paris.

[3] Au fait, c’est “Afrique-France” ou “France-Afrique”, et depuis quand est-ce que la position des termes aurait changé, pour suggérer quoi?

Questions probablement sans intérêt…

[4] Référer à la définition systématique que je donne de l’intelligence dans sa participation à l’histoire, in Nôb Georges Boniface Nlénd V, 2021, L’Afrique s’est-elle définitivement résignée à la colonialité?

L’impératif de tout rebâtir pour amorcer la renaissance et arrêter le Drame des peuples noirs, éd. L’Harmattan.

[5] Cette réponse est formulée le 18 mars 2021 par le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, en réaction à l’accusation du président américain, Joe Biden, qui qualifiait de son homologue qu’ « il est un tueur » dans un entretien accordé le 17 mars 2021 à la chaîne ABC.

[6] Kwame Nkrumah, 1963, “We must unite now or perish”, discours prononcé le 24 mai 1963 à la tribune de l’Organisation de l’unité africaine à Addis Abeba. Lire également Africa Must Unite, éd. Frederik A. Praeger Publisher, New York.

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