Lorsque vous vous promenez à Yaoundé , à Douala, dans les autres villes ou même dans les villages, vous voyez un nombre important de maisons inachevées. Je pense qu’au Cameroun, une maison sur trois est inachevée. Pourquoi ne finissons-nous pas nos maisons ? Pour tenter de mieux expliquer ce phénomène, il faut comprendre l’importance que le Camerounais accorde à l’idée de “construire”… Lorsqu’on dit à un Camerounais que telle ou telle personne a volé beaucoup d’argent, il demande « est-ce qu’il a construit ? » Si la réponse est oui, il dira que c’est bien! Si la réponse est non, il dira “il faut l’arrêter”.
Pour le Camerounais, peu importe d’où vient l’argent, il faut “construire”. Autrement dit, quand il s’agit de maisons, le Camerounais n’a rien contre le voleur. On est quelqu’un parce qu’on a construit et inversement on n’est rien parce qu’on n’a pas construit. Le Cameroun est l’un des seuls pays au monde où les morts construisent. Nous construisons une maison pour quelqu’un qui n’a pas construit afin que lorsque les gens viennent faire leur deuil, ils trouvent une maison… On tient la une réponse à notre question.
On ne construit pas seulement pour soi ou pour y vivre, on construit pour l’histoire que raconteront les gens sur nous. Pourquoi les Camerounais ne finissent-ils pas leurs maisons ? Soit c’est l’argent qui les a surpris, soit ils ont des problèmes d’arithmétique. Une nomination d’un frère à un poste important et quelques 4,9 plus tard, on “sort de la location “. C’est généralement la réponse du propriétaire de la maison inachevée, il fallait que je « sorte de la location » Et dans l’échelle sociale au Cameroun, quelqu’un qui est sorti de la location même avec une maison inachevée a réussi sa vie.Bim !
Un argent vous tombe dessus! Vous devez rapidement mettre des parpaings au sol, parce que vous ne savez pas quand le prochain argent tombera. Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que l’argent surprend beaucoup d’entre nous. Cela expliquerait en partie le grand nombre de maisons inachevées.
Mais il y a aussi ceux qui se trompent dans leurs calculs. Vous commencez une maison de douze chambres avec le peu d’argent que vous avez… Pourquoi ne pas faire une maison de trois chambres et la finir d’abord au lieu d’attaquer directement les 12 chambres et ne pas les finir ? Au-delà du calcul, c’est l’histoire que l’on veut laisser derrière soi qui nous joue des tours car au final, nous sommes rattrapés par la réalité des moyens dont nous disposons… Et c’est bien là le problème. L’histoire que nous nous racontons et la réalité de nos moyens. Vous comprenez les détournements de fonds publics et autre corruption…
Toutes ces maisons inachevées nous disent une seule chose… que nous sommes des mythomanes qui n’ont pas les moyens de leurs rêves et qui se racontent des histoires tout en voulant laisser une histoire derrière eux… C’est parce que nous sommes des personnes avec un gros égo qui sont rattrapées par la réalité que nous ne finissons pas nos maisons. Mais il n’y a pas que les maisons qui sont inachevées, le pays lui-même est inachevé !
Nous avons mené une lutte de libération inachevée, et nous avons voulu construire un pays sans être vraiment indépendants et donc avec une indépendance inachevée… ce qui nous a obligés à avoir une fierté mal placée. Comment pouvons-nous être fiers quand nous n’avons pas vaincu l’ennemi ? Quand nous n’avons pas obtenu notre véritable indépendance. C’est comme si l’orgueil ne pouvait pas attendre que tout soit terminé pour sortir. N’oublions pas que c’est par orgueil que nous construisons des maisons de 12 pièces, que nos morts construisent… En d’autres termes on a pas gagné, on pas obtenu ce qu’on voulait, on n’a rien mais on ne va rester sans fierté … mieux c’est pour l’égo qu’on va construire, peu importe nos moyens.
Nos maisons inachevées seraient donc à l’image de notre pays lui-même inachevé. Il faut à tout prix qu’on soit fiers malgré nos incapacités. Nous sommes incapables d’organiser notre football mais nous sommes fiers de « nos » joueurs formés par d’autres, jouant pour les autres a l étranger. Nous sommes incapables de créer des institutions mais nous sommes fiers des « nôtres » désignés par d’autres pour gérer leurs institutions.
En d’autres termes notre inachèvement veut dire aller chercher la fierté partout sauf chez nous-mêmes. Comme si nous avons accepté l’idée que nous ne pouvons pas faire plus. En définitive, l’inachèvement est un paradoxe dans lequel nous reconnaissons nos limites et en même temps nous allons chercher la fierté pour dire aux autres que nous sommes grands.
SourceFacebook: Jean Pierre Bekolo, Cinéaste