Démocratie en Afrique: Le plaidoyer de Christopher Fomunyoh en faveur de la jeunesse: “Aujourd’hui, la démocratie en Afrique évolue en dents de scie”

Coups d’états, jeunesse en colère, processus électoraux bafoués, la démocratie en Afrique est au cœur de toutes les préoccupations. A l’occasion du colloque « repenser les transitions démocratiques en Afrique de l’Ouest », organisé par le Think Tank Afrijajom à Dakar, le politologue camerounais Christopher Fomunyoh, Directeur Regional Afrique du National Democratic Institute (NDI) et récemment nommé ambassadeur du programme Grain d’Ukraine a fait un plaidoyer spécial à destination de la jeunesse africaine.

Quel constat faites-vous de l’état de la démocratie en Afrique aujourd’hui ?

Aujourd’hui la démocratie en Afrique évolue en dents de scie. Plusieurs pays ont réalisé des progrès significatifs, mais d’autres trébuchent encore sur les principes fondamentaux de la démocratie et de la bonne gouvernance. Les transitions des années 1990 ont suscité à l’époque beaucoup d’attentes et d’espoirs sur une consolidation rapide de la démocratie en Afrique.

On peut effectivement célébrer certaines des avancées, mais on ne peut pas se voiler la face car il reste encore beaucoup à faire et de nombreux défis à relever. Le constate a été est clair:, même dans certains pays qui étaient très prometteurs en leurs temps ont vu un déclin dans leurs espaces de liberté ainsi que dans l’adhésion surtout institutionnelle à la démocratie et la bonne gouvernance.

L’historique culturel en termes de gestion des pays Africains est-il si différent de celui pratiqué par la démocratie occidentale ?

Je ne le crois pas et j’ai pour habitude de dire que la démocratie fait partie des valeurs naturelles africaines. Les libertés auxquelles nous aspirons tous ont une valeur universelle et on ne devrait pas se les voir retirer juste parce qu’on est né sur le continent africain.

Déjà à l’époque précoloniale, les populations africaines vivaient dans des communautés sur la base de règles connues et acceptées de tous ; sur la base de valeurs qui intégraient les libertés d’expression, le droit à la justice, la tolérance et l’équité. Même l’organisation sociétale des Chefs et des Rois obéissait à un système structuré, y compris sur le plan judiciaire avec des notables qui entouraient les décideurs et participaient à la prise de décisions. C’était leur forme de démocratie, même si elle ne portait pas le même vocabulaire.

Avec l’émergence des États Nations au moment des indépendances, l’homogénéité qui caractérisait ces communautés n’est plus reflétée dans la composition des pays africains d’aujourd’hui. Et justement c’est dans la gestion de ces sites multiculturels et tant diversifiés que la démocratie moderne retrouve toute sa nécessité.

Aujourd’hui, nos états Africains modernes ne sont plus composées de groupes ou d’ethnies homogènes mais plutôt de groupes hétérogènes en termes de valeurs, de cultures, de langues, de pratiques, et de traditions. Le pilier à même de permettre à toute cette diversité de s’organiser de manière harmonieuse, c’est un cadre démocratique avec les règles du jeu, y compris la constitution ou la loi fondamentale, sur lesquelles tout le monde est d’accord.

L’Afrique de l’ouest a subi 3 coups d’État sur les 2 dernières années, cela veut-il dire que la sous-région connaît un recul significatif en termes de démocratie ?

C’est vrai qu’à une certaine période, le monde chantait les louanges de l’Afrique de l’Ouest car la zone de la CEDEAO était souvent citée en bon exemple. Cela était compréhensible au vu des progrès en transitions démocratiques réalisés dans les années 1990. En 2015, par exemple, sur les 15 pays d’Afrique de l’Ouest, 13 avaient des présidents nouvellement élus ou à leur second mandat, avec la promesse d’une alternance normale et paisible.

Depuis, il y a eu pas mal de reculs, traduits notamment par ces trois coups d’État que vous mentionnez, en Guinée, au Mali et au Burkina Faso. Cela interroge sur la solidité et la stabilité de la démocratie dans cette partie du continent.

De même, la structure sous régionale qui est la Communauté Economique Des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a, elle aussi, pris un coup dans sa réputation. Le protocole additionnel de 2001 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance incitait à une adhésion collective des peuples et des dirigeants à la bonne gestion des États. Malheureusement aujourd’hui, cette structure sous régionale a également été fragilisée et peine à retrouver sa crédibilité d’antan.

Il faut espérer que les transitions en cours dans les trois pays se feront aussi rapidement que possible pour permettre à ces pays la vivant sous les régimes d’exceptions de revenir à un ordre constitutionnel normal pour garantir les droits et libertés de leurs citoyens, et par la aussi redorer le blason de la CEDEAO et de la sous-région.

Quel rôle pensez-vous que la jeunesse peut jouer dans ce changement ?

La jeunesse ouest africaine, sinon africaine tout court, a un rôle capital à jouer. Elle constitue à peu près 70% de la population de nos différents pays. Cette jeunesse s’identifie en citoyenne du monde car avec les nouvelles technologies et plateformes de communication, elle est en contact permanent avec les jeunes dans les pays plus démocratiques. Elle se pose de ce fait légitimement la question des raisons pour lesquelles sur d’autres continents, la jeunesse jouit de certaines libertés alors qu’elle, en Afrique, en est privée.

Je suis très heureux de constater que cette jeunesse est exigeante, et elle a raison de l’être ! De plus en plus éveillée, elle demande à être écoutée, à avoir sa place autour de la table de décisions, ce qui augure bien pour l’avenir de la démocratie sur notre continent.

Au Nigéria par exemple, la jeunesse s’est battue pendant des années pour une réduction de la limite d’âge d’accès à des postes électifs. En 2018, elle a mené un plaidoyer qui a conduit justement à un des rares amendements de la constitution Nigériane.

Toujours au Nigéria, lors des dernières élections présidentielles, la jeunesse s’est mobilisée et a pu s’inscrire sur la liste électorale par millions. Sa mobilisation a permis de propulser sur la scène politique du pays un acteur qui présentait de nouveaux projets de société, de nouvelles idées et qui a pu secouer de manière inattendue les deux grands partis politiques traditionnels qui ont monopolisé le pouvoir pendant les trois dernières décennies. Cela démontre à quel point la jeunesse africaine compte. Elle porte très bien le flambeau et son engagement donne l’espoir que l’avenir de la démocratie sur le continent sera prospère.

Quels sont pour vous les pays africains exemples de démocraties réussies aujourd’hui ?

Beaucoup de pays sont a saluer, et méritent qu’on parle davantage de leurs succès par ailleurs reconnu et considéré par les autres pays comme la preuve de l’efficacité et de la réalité démocratique sur le continent même.

Le Cap Vert par exemple vit une expérience démocratique paisible, très respectée sur le continent et à travers le monde. On peut citer également le Ghana, le Botswana, l’île Maurice. Ce sont des pays qui connaissent d’alternances politiques normales et régulières, le respect de la séparation des pouvoirs, le renouvellement constant de la classe politique, sans qu’il y ait une cassure. Aussi, dans les pays comme le Malawi, le Kenya, la Zambie, on ressent que même le pouvoir judiciaire s’impose dans son indépendance et les tribunaux ont pu annuler des élections présidentielles lorsqu’elles étaient mal organisées.

Il existe donc sur le continent des pays qui émergent et se font respecter pour leur adhésion à la démocratie. Il faut espérer que ce vent de contagion continue dans le bon sens.

Comment le NDI peut-il accompagner les démocrates africains vers cette transition démocratique ?

Je suis heureux de constater que le NDI a toujours été présent aux côtés des démocrates africains dans leurs efforts de consolidation de la démocratie en Afrique.

Je peux dire, avec une certaine fierté, que sur les 54 pays du continent, il n’y en a pas plus de quatre ou cinq dans lesquels le NDI n’a pas mené des activités de soutien à la démocratisation

Les différents partenariats que le NDI a développés avec la société civile africaine, les partis politiques (toutes tendances confondues), les législatures sur le plan national ou local et parfois même des commissions électorales indépendantes et autres institutions étatiques, continuent de porter leurs fruits. J’ose croire que dans les différents pays Africains où le NDI est présent, l’activisme politique se mène de manière participative, constante et consistante.

CR photo, DR

Source: Ambre Delcroix

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