C’est à cette entorse de la Loi, Monsieur le Ministre, et contre votre propre haute personnalité, que je m’en prends dans cette correspondance d’un genre peu commun; je le fais sans exclure, certes, que la rumeur vous crédite à tort du projet presque finalisé d’aider à créer , à la borne 50 de la Route Nationale numéro 4, donc à Nkoltomo 2 dans l’Arrondissement d’Obala, les village et Arrondissement nouveaux de « Nkolebay ». Monsieur le Ministre, les accusations dont vous êtes l’objet dans cette plainte d’un genre nouveau sont, pour ainsi dire, virtuelles, puisqu’elles sont subordonnées à la condition que la rumeur qui les motive soit fondée.
À
Monsieur le Ministre de l’Administration territoriale .
Objet : Dénonciation par anticipation du projet de création d’un village et d’un Arrondissement au détriment de l’Arrondissement d’Obala et du village de Nkoltomo 2.
Monsieur le Ministre,
Je viens respectueusement, au nom de mon village natal, Nkoltomo 2, et en ma qualité d’administré de l’Arrondissement d’Obala, dénoncer auprès de votre autorité le projet avancé de création des village et Arrondissement de « Nkolebay» ; ce projet, dont vous seriez vous-même l’initiateur, est rapporté, il est honnête de l’avouer, par la rumeur, source d’information à tort présumée méprisable. Aurais-je dû patienter que la décision ici dénoncée par anticipation soit publiée ? Ce serait probablement trop tard ; Machiavel nous enseigne qu’une personne avisée doit pouvoir anticiper opportunément :« Il ne faut point laisser se produire un désordre pour fuire une guerre.
Car on ne l’évite pas ; on la diffère à son désavantage». Je promets donc qu’après cette correspondance qui n’est pas orthodoxe, la communauté Mbókání de Nkoltomo 2 s’organisera pour la rédaction d’un mémorandum complémentaire.
L’originalité de ma démarche, qui a tous les traits classiques de l’extravagance, en surprendra plus d’un, et à juste titre, surtout d’un philosophe dont on s’attendrait à ce qu’il se détourne de la rumeur comme d’une connaissance vulgaire. Mais cette surprise, j’en suis convaincu, sera atténuée et me vaudra quelque indulgence quand on se rappellera que la rumeur est, dans notre pays, devenue une source d’information qu’il serait imprudent de négliger.
Le Président de la République l’a dit, jadis, conseillant aux citoyens les canaux officiels de l’information qu’étaient à l’époque la Radio et le Journal écrit de l’État, supports traditionnels de diffusion des décisions régaliennes : « La vérité vient d’en haut, et la rumeur d’en bas ». Mais avec le temps, on s’est aperçu que ces repères, au Cameroun, ont fini par se brouiller et par se relativiser , comme le « haut » et le « bas » après les révolutions copernicienne et galiléenne. Et on l’a expérimenté, il y a un mois, à l’occasion des obsèques officielles de l’Honorable Jean-Bernard Ndongo Essomba, programmées par la Présidence de la République à « Nkolebay par Obala », mais, au prix d’une falsification aussi grossière que scandaleuse, déclarées à la Radio et à la Télévision nationales à « Nkolebay par Sa’a » : l’Administration camerounaise ne brille plus par le respect de l’autorité de l’État ; le « bas » n’éprouve plus nul scrupule à corriger le « haut » et même, pis, à se substituer à lui : nous vivons, il n’y a aucun sens à craindre de le dire, dans la logique du coup d’État permanent, avec la possibilité qu’un simple chef hiérarchique dans un service subalterne, ou même qu’un Ministre de la République, prenne une importante décision pour aider un ami ou pour lui plaire, et cela en violation de la Loi .
C’est à cette entorse de la Loi, Monsieur le Ministre, et contre votre propre haute personnalité, que je m’en prends dans cette correspondance d’un genre peu commun; je le fais sans exclure, certes, que la rumeur vous crédite à tort du projet presque finalisé d’aider à créer , à la borne 50 de la Route Nationale numéro 4, donc à Nkoltomo 2 dans l’Arrondissement d’Obala, les village et Arrondissement nouveaux de « Nkolebay ».
Nous savons pertinemment que tel était le plan du défunt monsieur Ndongo Essomba, qui a toujours, de son vivant, estimé qu’il était au-dessous de son honneur d’être un administré d’Obala et de Nkoltomo 2 : il a mis tout en œuvre pour augmenter de plusieurs kilomètres carrés la surface réelle de l’Arrondissement de Sa’a, dont il était originaire, aux dépens des villages et Arrondissements voisins ; et, moyennant un trafic d’influence dont je me suis inlassablement plaint, il s’est investi à forcer la main à l’Administration pour se faire confectionner un village et un Arrondissement à lui . Il était en effet encouragé par un précédent : il avait déjà fait la même chose dans son village natal, Ntobo,
amputé pour la circonstance du hameau d’ Ekekom, transformé par ses soins en village autonome qu’il a, en fils respectueux et reconnaissant, offert en présent à son père, Auguste Essomba Awono, agréablement surpris de se savoir Chef de village du jour au lendemain.
Sous la réserve que cette rumeur soit fausse et ne repose sur rien de crédible, je rappellerai ce qu’il y a ou qu’il y aurait d’ irrégulier dans une telle décision. D’abord, on ne voit pas quelles « nécessités de service » il y aurait à créer un village et à l’ ériger par la même occasion en nouvel Arrondissement.
La condition qu’un village soit érigé en chef lieu d’arrondissement est d’abord, et c’est un pléonasme, qu’il existe déjà, c’est-à-dire depuis longtemps, officiellement, et qu’il en remplisse les conditions d’infrastructures telles que celles dont disposaient des villages comme Efok, Talla, Elig-Mfomo, Batchenga : un marché périodique important , une Église, des établissements scolaires à effectifs plus que respectables ; en somme, Batchenga et Elig-Mfomo, avant d’être érigés en unités administratives, étaient déjà des proto-villes pour ainsi dire. Si l’on songe à créer un village en territoire Mbókání et près de la résidence de feu l’Honorable Jean-Bernard Ndongo, Yemessoa est incontestablement la bonne adresse, à moins que le choix ne porte sur Efok, capitale historique et affective des Mbókání.
Or, « Nkolebay » ne figure même pas sur la Carte administrative de la Lékié. On parle de le créer, ce qui exige le respect scrupuleux des limites administratives ; envisager une telle « création» revient ainsi à reconnaître enfin, malgré soi, que « Nkolebay» n’existe pas , donc que l’Honorable Jean-Bernard Ndongo Essomba a cyniquement menti jusqu’au bout en déclarant sa résidence à « Nkolebay, arrondissement de Sa’a »; c’est la preuve par l’absurde que ses titres fonciers sur place ont été frauduleusement obtenus, et sont par conséquent entachés d’irrégularité, d’une irrégularité, Monsieur le Ministre, dont on pourrait vous reprocher de vouloir le blanchir ; c’est la preuve, toujours par l’absurde, que l’ Almanach des villages de la Lékié, publié par le Ministère de l’ Administration territoriale, où figure « Nkolebay » au nombre des villages de l’Arrondissement de Sa’a, manque de crédibilité : des places y ont été achetées, obtenues par effraction, complaisamment, arbitrairement, illégalement ; ce document est à détruire si l’on tient à retourner à la légalité républicaine.
Monsieur le Ministre, donner suite au projet, jadis et naguère si cher à feu Monsieur Jean-Bernard Ndongo, de créer de bric et de broc ce village et cet Arrondissement de « Nkolebay », sans le moindre respect de la carte administrative de la Lékié, c’est lui faire à titre posthume un cadeau qu’il a été, de son vivant, incapable de s’octroyer, et à l’échec duquel je puis me vanter d’avoir collaboré. Vous prendriez ainsi fait et cause pour un homme, fût-il « puissant», contre toute une communauté humaine. Ce serait dire que nous, habitants, natifs de Nkoltomo 2 et de l’Arrondissement d’Obala, nous ne sommes pas des citoyens égaux en valeur et en dignité à feu l’Honorable Jean-Bernard Ndongo Essomba. En termes courants, on dirait que nous autres, nous n’avons pas été créés par le même Dieu que celui qui a créé l’Honorable Jean-Bernard Ndongo Essomba ; nous vaudrions dès lors moins que sa mémoire.
Si cela se faisait, et j’espère sincèrement que la rumeur vous accable d’une décision que vous n’avez jamais envisagée, vous sortiriez de vos missions de Ministre de la République, autrement dit, de serviteur du Peuple ou de la volonté générale, pour vous draper des oripeaux de serviteur de causes particulières ; si ce qui se dit s’avérait fondé, il vous serait objecté qu’un pauvre, comme moi, s’il a raison, a bien le droit de l’emporter dans un procès qu’il a intenté contre un riche, comme l’Honorable Jean-Bernard Ndongo Essomba ; il n’y a rien d’absurde ni de honteux à le déclarer coupable , mort ou vivant ; et on pourrait vous tenir pour comptable, devant l’histoire, d’avoir provoqué un soulèvement populaire inédit à Nkoltomo 2, et d’avoir terni, aux yeux de la Communauté internationale, l’image du pouvoir incarné par Monsieur le Président de la République, son Excellence Paul Biya. Si Messieurs Donal Trump et Nicolas Sarkozy, ci-devant Chefs d’État pourtant, sont appréhendés par les autorités judiciaires de leurs pays respectifs et jugés pour des actes répréhensibles commis durant leurs mandats, quelle nécessité y aurait-il à sauver à tout prix la mémoire de feu Monsieur Jean-Bernard Ndongo Essomba de l’arrêt de la Justice tel qu’il l’a mérité de son vivant ?
Monsieur le Ministre, les accusations dont vous êtes l’objet dans cette plainte d’un genre nouveau sont, pour ainsi dire, virtuelles, puisqu’elles sont subordonnées à la condition que la rumeur qui les motive soit fondée. Avec les nouvelles Techniques de l’information et de la Communication, et à l’ère de la technologie digitale, il faudra sans doute s’habituer à cette forme de correspondance administrative qui, sans négliger une source d’information comme la rumeur, s’adresse directement, à travers les réseaux sociaux, à la haute autorité de l’État, quitte à la régulariser après coup en empruntant la voie classique qui passe par les étapes intermédiaires du Commissaire spécial, du Sous-préfet, du Préfet, du Gouverneur. Je reste convaincu que cette correspondance parviendra rapidement à bon port ; l’ État, « Dieu terrestre » comme dit Hegel après Hobbes, a vue et droit de regard sur tout ce qui se passe dans les réseaux sociaux et ailleurs ; et ce n’est que normal , car il est l’institution suprême dans un pays. Ainsi, convaincu que ma correspondance sera reçue par votre autorité comme la requête d’un citoyen qui pense uniquement à servir sa Nation et à défendre les intérêts de son village natal, Nkoltomo 2 en l’occurrence, je vous prie, Monsieur le Ministre, de bien vouloir agréer l’expression sincère de mon plus profond respect.
Obala, 1er juin 2023.
Professeur Ndzomo Molé, Maître de Conférences de classe exceptionnelle, Université de Yaoundé 1, École normale supérieure, Département de philosophie,