Paul Biya, le Périclès africain ou Le Lion et l’Albatros

J’ ai écouté et réécouté à plusieurs reprises le Discours de Paul Biya à l’occasion du quatre-vintième anniversaire du Débarquement de Provence, le 15 août 2024. Et je m’imposerai de le lire et de le relire davantage, crayon en main, comme quand j’étudie tout autre texte important, à l’instar de l’«Éthique» de Spinoza, de la «Critique de la raison pure » de Kant, du «Discours sur les sciences et les arts» ou du «Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes », tous deux de Jean-Jacques Rousseau, ou bien du Discours d’investiture de Barack Obama, des Discours de Martin Luther king, par exemple «Je fais un rêve», et du Discours de Périclès à l’adresse des Députés de Corinthe étudié par Raymond Aron dans les «Dimensions de la conscience historique».
Après avoir suivi la vidéo, j’ai écrit :
« Cet homme est un géant. Nous sommes, sans le savoir, les contemporains privilégiés d’un grand homme que d’autres nous envient. Le “regard”? Ce discours de grande portée historique a fait l’objet de débats et d’analyses sur les grandes chaînes de télévision française ».
J’ ai parlé de télévision française, trahissant ainsi notre situation de dépendance médiatique vis-à-vis de la France, via la Chaîne Canal+ ; cela témoigne de notre état d’aliénation mentale qui provoque en nous une véritable intoxication par les images d’origine exogène ; je parlerais volontiers de l’intoxication iconographique, la pire de toutes peut-être.


En tout cas, en écrivant que nous sommes, sans le savoir, des contemporains privilégiés d’un grand homme, je l’ai écrit comme je le pense. J’ ai parlé du «regard». Je répondais ainsi à quelqu’un qui y avait fait référence : quel est , se demandait-il, le sens du «regard» que portent les étrangers sur le Cameroun à travers le spectacle de notre Chef d’État à la démarche chancelante et tâtonnante ? Ces «autres» sur «le sens» du «regard» desquels mon interlocuteur s’interrogeait, ce sont d’abord les voisins de rangée, dont Emmanuel Macron, voisin immédiat de gauche, et Nicolas Sarkozy, qui regardent en effet le vieil homme reprenant sa place d’invité de marque à côté du Président de la République française. Mon interlocuteur convoque ici, sans le savoir nécessairement, le «regard» néantisateur étudié par Jean-Paul Sartre dans « L’être et le néant », le «regard» qui «tue» ou diminue l’être intime de soi en provoquant la formation de la conscience de soi au sujet de ce qu’il y a d’effectivement ou de virtuellement honteux dans le comportement de l’acteur.

Après cette prestation, les Camerounais ont-ils sujet d’avoir honte d’eux-mêmes ? Mais qui peut, avec l’assurance du scientifique prononçant un verdict dans son domaine, ou de l’oracle se prononçant sur l’avenir, répondre de ce qu’il y a derrière le regard de ce ceux qui viennent de suivre l’orateur et qui voient s’asseoir péniblement le vieil homme ? On développera, sur ce point, une série interminable d’antinomies ; mais cette antithétique, pour parler comme Kant, n’ a aucune chance d’être surmontée, ou résolue de manière apodictique, comme en mathématiques, au terme d’une démonstration contraignante. En fait, je le dis : c’est un pseudo-problème dont il ne peut résulter qu’un pseudo-débat. On est toutefois en droit de rétorquer, provisoirement, que tout regard n’est pas forcément dénigreur, qu’il y a des regards admirateurs, et que tel est le cas ici.


L’interlocuteur qui aura soulevé la question du «regard» se sera arrêté à une perception phénoménale de cette séquence de l’événement ; il aura été incapable d’une perception nouménale, rationnelle , parce qu’il a “regardé” lui-même la scène sans y sans réfléchir ; il n’ a pas pu ou voulu observer : or, observer, comme le montre Kant, c’est «organiser méthodiquement l’expérience», ou, comme le dit Gaston Bachelard dans «le Nouvel esprit scientifique», c’est regarder en réfléchissant , surmonter «la première vision », éviter de succomber à «la séduction du premier choix» («Psychanalyse du feu »). Il n’aura, en d’autres termes, vu que le vieil homme, mais il n’a pas suivi ou voulu suivre le discours de l’orateur ; il n’ a pas exercé son entendement, ce qui est une «mentis inspectio » comme dirait Descartes, une inspection de l’esprit.


Il y a, dit justement Hegel dans les «Principes de la philosophie du droit », d’un côté le «grand homme », terme employé pour désigner un artisan de l’histoire —Alexandre le Grand, Jules César, Napoléon Bonaparte, Nelson Mandela, Paul Biya —, et, de l’autre, le «valet de chambre psychologue», le laquais au service du grand homme. Pour «le valet de chambre»— l’écuyer ou le porteur de bouclier, Doungourou le captif de Samba —, qui ne voit que le côté humain, trop humain du grand homme ou du chevalier, il n’y a pas de grand homme ; car «le valet de chambre n’est qu’un valet de chambre», alors que le grand homme, lui, est grand en plus d’être homme. Pour s’imprégner du sens du Discours de Biya en Provence, il importe donc de s’affranchir de cette vision de polissons de l’histoire, qui rigolent quand la situation se prête à la réflexion.


On voudra d’abord, afin d’éviter les pièges d’une perception empirique, hilare et purement phénoménale de l’événement, afin d’accéder à une perception phénoménologique, se rappeller que Paul Biya ne s’est pas invité en France, comme une mouche dans un banquet : il y a été invité ; Emmanuel Macron, après en avoir discuté avec ses conseillers, l’a sollicité pour une intervention, afin de prendre l’avis des descendants des «Tirailleurs sénégalais » dont l’apport a été décisif dans la libération de la France en 1945, et dans la victoire des Alliés de manière générale.
Peut-être cette invitation cachait-elle le dessein cynique d’humilier le vieil homme, et, avec lui, l’Afrique noire tout entière ? Peut-être espérait-on que cette humiliation à la face du monde, caméras accablants à l’appui, provoquerait la démission du Président Biya, comme les contre-performances oratoires et des intermèdes d’amnésie lors du débat face à Donald Trump ont provoqué le retrait de Joe Biden, qui s’est désisté dans sa course à la Maison-Blanche pour cause d’incapacité mentale et cognitive ? Le vieil homme aura ainsi relevé le défi, et victorieusement, comme dans ce roman de Western que je lus jadis au Lycée d’Obala :«Le Texan joue et gagne».
L’orateur était donc le représentant de toute une partie de la planète dont l’avis n’est pas souvent sollicité dans la marche du monde ; il était par conséquent nécessaire de solliciter un «regard» alternatif, celui des parias de l’histoire, de ceux dont Nicolas Sarkozy avait précédemment dit qu’ils n’ont pas d’histoire; c’est-à-dire, d’après Sarkozy, que l’histoire ne porte leurs empreintes digitales nulle part dans le monde. «Aucune empreinte», dira le raciste, l’Européen bon teint, blond ou brun : pas même dans les deux guerres mondiales ? pourrait-on se demander. On pense aux contes africains, avec l’Orphelin ou le Pauvre, d’ordinaire victime de l’ingratitude de la Famille, d’habitude méprisé, brimé, humilié, oublié, négligé, ostracisé et abandonné dans son coin, dont le point de vue, enfin sollicité, finit par sauver la Communauté en danger.


Et Paul Biya, justement, attire l’attention sur les dangers que court la Communauté internationale, avec des conflits qui pourraient dégénérer en des guerres pires que celles dont on a l’expérience, et dont on célèbre un déroulement heureux en Provence. Car la victoire ne revient pas forcément au parti qui a raison ; on peut parfaitement «vaincre sans avoir raison », comme les Diallobé l’ont appris à leurs dépens dans «l’Aventure ambiguë» de Cheikh Hamidou Kane. La victoire aurait pu être remportée par les Puissances de l’Axe dont l’Allemagne d’Adolf Hitler était l’h’égémon. L’Allemagne et le Japon ont perdu la Guerre parce que leurs dirigeants ont succombé à la Démesure, à l’« Übris» : l’Allemagne n’aurait pas dû, en juin 1941, s’attaquer à l’URSS de Staline avec laquelle elle avait signé quelques mois plus tôt un pacte de non-agression ; l’aviation japonaise n’aurait pas dû bombarder la flotte aérienne des États-Unis d’Amérique à Pearl Harbor dans le Pacifique. Par ces erreurs géostratégiques, ils se mettaient à dos les deux plus puissantes armées auxquelles il leur était impossible de résister ; quatre ans plus tard, Américains et Soviétiques marchaient sur Berlin qu’ils réduisirent à feu et à sang.


Pourquoi aura-t-on sollicité Paul Biya plutôt que toute autre personnalité politique africaine ? On n’aurait pas tort de supposer que ce pourrait être pour son âge et son statut de doyen dans les hautes fonctions de Chef d’État dans les anciennes colonies françaises, même si le Cameroun, lui, était statutairement sous la Tutelle des Nations unies après avoir été sous le Mandat de la Société des Nations. Il n’empêche que c’est le général de Gaulle, Chef de l’État français, qui “accorda” l’indépendance au Cameroun le premier janvier 1960, puisque Yaoundé faisait partie de l’AEF, l’Afrique équatoriale française. En 1945, ni Sarkozy ni Macron n’étaient déjà nés, tandis que l’orateur invité, déjà scolarisé, était âgé de douze ans. La cérémonie du jour a été inaugurée en 1964, Paul Biya étant déjà un haut fonctionnaire dans son pays — Chargé de missions à la Présidence de la République fédérale du Cameroun depuis deux ans.

C’était sous le père fondateur de la Cinquième République, le général Charles de Gaulle, qui se trouvait aussi être le Rédempteur de la France, ce féru de l’histoire de France et de ses hauts faits de guerre dans le passé, ce grand homme sans qui le pays de Jeanne d’Arc, de Maximilien de Robespierre et de Napoléon Bonaparte aurait été un protectorat anglo-américain après la période honteuse de l’occupation allemande, ce qui était «de facto» un protectorat allemand à vrai dire. Macron ne connaît de Gaulle que de réputation, et l’orateur du jour a eu son baccalauréat de philosophie, corrigé à Bordeaux, en 1956, pendant l’année qui suivit celle de la naissance de Nicolas Sarkozy.


S’attendait-on à un hommage dithyrambique de colonisé, à un hymne à la gloire de l’armée française et de la France combattante ? Parlerait-il à la manière de feu Léon Mba du Gabon, pour qui tout Gabonais avait deux patries : la gabonaise et la française ? S’attendait-on à un discours auto-flagellateur, qui négligerait le lourd tribut de sang des combattants africains dans la libération de la France ? Rappellerait-il au contraire, d’une manière ou d’une autre, le massacre de Thiaroye, au cours duquel des «Tirailleurs sénégalais », qui ne réclamaient que les arriérés de leurs soldes, furent mitraillés à mort par leurs frères d’armes français sur ordre de leurs supérieurs ? Soulignerait-il au contraire, d’une manière ou d’une autre, l’ingratitude historique de la France et des Alliés vis-à-vis de l’Afrique ? L’Afrique éclairée attendait, guettait ; la France éclairée, peut-être, cyniquement, avait laissé au Représentant africain la responsabilité de ratifier et de cautionner la Trahison, l’Ingratitude, ou bien, par pudeur, s’était déchargée sur lui de l’opportunité de mettre en relief cette Trahison et cette Ingratitude. Je me suis alors souvenu du Discours improvisé de Charles de Gaulle à Paris, après le passage triomphal de la Deuxième Division blindée du général Leclerc ; un discours où le Père fondateur de la Cinquième République brilla, pour ainsi dire, par son ingratitude vis-à-vis notamment de la Vingt-neuvième Division blindée du général américain Norman, grand artisan du Débarquement de Normandie, et vis-à-vis de la Division blindée espagnole, qui faisait également partie des combattants alliés en Normandie ; et le Haut Commandement américain avait imposé que l’héroïque contingent des Tirailleurs sénégalais fût écarté de la prise d’images qui immortaliserait l’événement ; et dans le film du Débarquement de Normandie, «le Jour le plus long », il n’y a nulle trace de l’activité guerrière des Noirs, malgré la pugnacité à nulle autre seconde dont ils firent preuve. L’orateur du jour rappelle, à toutes fins utiles, que la France tira grand parti du courage à toute épreuve de ces combattants africains dont beaucoup avaient été formés dans une tradition guerrière ; la plupart avait subi le rite viril d’initiation, notre «só» Fang-Beti-Bulu, qui est autrement désigné chez les Massa, Mouzgoum, Moundang, Toupouri, Malinké, Peuhls, Bambara, etc. L’apartheid fut donc de rigueur dans la décision de cacher à la postérité quel fut le rôle de «la négraille», pour parler comme Césaire, dans la victoire des Alliés contre les puissances de l’Axe.


On voit toute la dynamique à l’œuvre dans le concept d’«histoire» — la science historique et l’objet de celle-ci, le travail de l’historien et l’ensemble des événements du passé, tels qu’ils ont eu lieu indépendamment de la sensibilité et de l’entendement de l’historien, indépendamment de la reconstitution qu’en fait l’historien ; la subjectivité historique consiste à défigurer ou à orienter l’interprétation des événements du passé. «Le Jour le plus long », c’est l’histoire de la Chasse racontée par le Chasseur :
«Paris brisé, Paris brimé, mais Paris libéré, libéré par lui-même, par son peuple».
Le Général tenait à faire valoir l’image traditionnelle de Paris l’indomptable, avec sa très fière devise latine :«Fluctuat nec mergitur/ Il est battu par les flots, mais ne sombre pas ».
Paul Biya apprend aux jeunes Chefs d’État africains l’art diplomatique de parler aux Occidentaux, contre qui les Africains ont tant de griefs légitimes: point n’est besoin de gesticuler pour leur dire la vérité ; elle leur est ici administrée à dose homéopathique, soufflant le chaud et le froid, «mendím mē máb», dans le pur style du Sage d’Afrique, «Nyãmodo/ l’homme mûr ».


C’est que le Débarquement de Normandie, auquel la France prit part uniquement de par le forcing du général de Gaulle, fut pour elle une victoire sans péril, dont il ne pouvait résulter qu’un triomphe sans gloire. Il fallait donc à la France un débarquement alternatif, un débarquement bien à elle, qui ne fût pas une bataille où elle vaincrait sans péril et où elle triompherait sans gloire. Et cette armée française était plutôt sérieusement mélanisée, racialement hétérogène et hétéroclite, avec beaucoup de combattants basanés et de race noire, venus du Maghreb, de l’Afrique Équatoriale française et de l’Afrique Occidentale française. De Gaulle, dans ses Mémoires, parle fièrement et avec condescendance de «l’empire français», ce qui désigne la Métropole et les colonies ou Territoires français d’outre-mer. Au défilé qui couronna la victoire de la France, les Tirailleurs sénégalais eurent leur revanche médiatique ; d’un pas martial impeccable, ils chantèrent eux-mêmes leur gloire, rappelant que sans eux, l’Europe, avec pour uniques combattants des Européens, était vouée à la défaite :« Zéropéens, zéro, zéro !».


De Gaulle, général de grade, avait la nostalgie de la victoire de 1918, époque au cours de laquelle il était un jeune officier subalterne, où Paris fut libéré par les forces françaises elles-mêmes. Dans ses Mémoires, «Cinquante ans de réflexion politique», Raymond Aron raconte l’euphorie nationale qu’il a vécue, à treize ans, sur les épaules de son père à Paris, lors du passage de l’Armée victorieuse. Le triomphe fut si glorieux que la France imposa les conditions de la reddition de l’Allemagne, à travers le Traité de Versailles dont Hitler conservait par devers lui l’humiliation : les colonies allemandes d’Afrique , dont le protectorat du Kamerun, furent confisquées du droit du plus fort («Vae victis/ Malheur aux vaincus »); la Rhénanie fut démilitarisée, et l’Allemagne fut condamnée à une lourde taxe pour les «dommages» de la Guerre, une série de mesures qui coûtèrent plus tard très cher aux vainqueurs de l’heure et qu’ils payèrent finalement avec usure : elles provoquèrent en effet l’avènement politique en Allemagne, en 1933, par voie démocratique, d’un Adolf Hitler revanchard, impitoyable, les yeux pleins de feu et de sang, armé de sa fameuse et non moins fumeuse théorie de la «race aryenne» supérieure à toute autre dans le monde.

Si le Traité avait été plus souple, si les vainqueurs n’avaient pas retiré au vaincu ses colonies où il avait lourdement investi, on eût fait peut-être l’économie de cette guerre où les pays africains avaient perdu tant de leurs fils, avec en prime la Conférence de Brazzaville, où la France avait unilatéralement décidé de mettre sous une coupe réglée l’économie, le sol et le sous-sol, la monnaie, la Diplomatie et la Défense de l’Afrique noire «française», avec en prime des «accords coloniaux » en toutes choses pareils à des “accords” passés avec des vaincus de guerre, y compris le point de la création du franc CFA, franc des colonies françaises d’Afrique, toujours en vigueur jusqu’à aujourd’hui, quoique la France ait elle-même abandonné sa monnaie nationale, le franc. Jusqu’à présent, nous évoluons sous le régime monétaire d’une devise du passé, dépassée, «moní à kobó», comme nous appellions, enfants, les pièces marquées à la Croix de la Lorraine.
Laurent Gbagbo, dans les «Réflexions sur la conférence de Brazzaville », livre publié à Yaoundé en 2015 aux Éditions CLÉ, donc pendant qu’il était en prison à la Haye, relève qu’aucun représentant africain ne fut invité à cette conférence. Il rappelle le cynisme de Monsieur Maginot, Ministre des colonies, qui écrivit (p.54 du livre cité):
« Il est de toute nécessité de dresser avec le plus de soin que jamais le catalogue des ressources que peuvent nous procurer nos colonies et, une fois cela fait, d’étudier les moyens susceptibles de développer ces ressources et de les utiliser au mieux des intérêts respectifs de la métropole et des possessions d’où elles sont tirées ».


Il faut également relever que ces investissements «au mieux des intérêts des possessions d’où ces ressources ont été tirées», c’est toujours à vrai dire dans l’intérêt de la Métropole, puisqu’il importe d’en assurer le transport à partir des lieux où se fait l’exploitation locale de ces ressources, jusqu’à la mer, au port ou à l’aéroport, vers la France, où ces ressources seront transformées en produits finis, et commercialisées, en Afrique et dans le monde. Les routes créées par l’Administration française n’avaient donc pas vocation à être utiles aux «indigènes», mais à rendre faciles l’exportation des ressources brutes, et l’importation des produits finis. Tout était donc au bénéfice de la Métropole. Le contrat colonial fut évidemment un contrat de dupes, avec l’Afrique dans le rôle de la dupe.

Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron ne peuvent pas pardonner à Paul Biya, et encore moins à Laurent Gbagbo, d’avoir vu clair dans la logique qui sous-tend les “accords coloniaux”, que le Cameroun aura du reste refusé de renouveler ; le jour où l’Afrique noire se mobilisait pour aller voter aux Nations unies des «mesures de rétorsion», des sanctions économiques contre la Russie à cause de la guerre d’Ukraine, le Président du Cameroun signait tout bonnement un accord de Défense avec le pays de Vladimir Poutine ; et la délégation camerounaise en partance pour les Nations unies avait la très haute instruction de voter bulletin nul ; le Cameroun a d’ailleurs déposé sa candidature pour être membre des BRICS, coalition politique et financière alternative au bloc de l’Occident. On pense à un proverbe itón qui vaut son pesant d’or géopolitique :«Mbóg i beb wö e Bëtí, o dzòg e Bëluá/ Si la cohabitation ne te réussit pas avec les nobles, alors, cohabite avec les roturiers», non pas parce que les Russes sont effectivement des roturiers, mais parce que les pays membres de l’OTAN veulent nous convaincre et nous imposer qu’ils le sont, et que les membres de l’OTAN et de l’Union européenne se présentent eux-mêmes à nos représentations comme les Nobles et les gendarmes du Monde.


Il faut dire que cette opportunité, c’est-à-dire l’occasion de rappeler toutes ces injustices que l’Afrique a subies au plan géopolitique en dépit de ce que la France lui doit notamment, le Président Paul Biya ne l’a pas loupée. Il l’a au contraire saisie au vol, et s’est acquitté de son devoir en sage, avec une pondération et une lucidité qui rappellent celles de Périclès à Athènes. En l’écoutant, je me suis rappelé ce que m’avait confié son défunt ami Marcien Towa, qui avait obtenu son baccalauréat un an auparavant, en 1955, au Quartier puisqu’il avait été ecclu du Séminaire pour cause de «subversion» et d’athéisme, et n’avait pas eu la possibilité d’aller en France aussitôt — il ne parviendra à s’y rendre qu’en 1957, au troisième trimestre, et entrera dans une École normale des instituteurs de Caen, dont il sortira néanmoins major la même année : l’élève Paul Biya, qu’il continua à fréquenter alors qu’il était déjà au Lycée Leclerc, fut le Champion en philosophie de sa classe. Et je me suis souvenu de certains de ses condisciples du Séminaire, qui se sont également illustrés en philosophie et dans la pratique de l’écriture : Bernard Nanga, Joseph Ngoué et Basile-Juléat Fouda en philosophe.

Et je pensais également à d’autres, autres grands universitaires, ou qui se sont illustrés ailleurs : Jérôme Owono Mimboé, Licencié ès lettres classiques, devenu Évèque du Diocèse d’Obala, nouvellement créé; l’abbé Louis-Paul Ngongo, éminent juriste, spécialiste du droit constitutionnel ; Georges-Walter Ngango, éminent économiste ; au Lycée Leclerc, Pierre Semengue, éminent militaire, et Nganso Soundji, qui, lui, était en série Mathématiques et Physique, devenu Polytechnicien, lui aussi éminent militaire. Je me suis rappelé un hommage d’Abel Eyinga, opposant de la première heure, ancien condisciple à Sciences po, qui, dans une lettre ouverte, a commencé par rappeler :«Vous faisiez toujours des dissertations remarquables». En suivant cet hymne à la solidarité internationale entonné par l’orateur, cet hymne au devoir universel de Paix, à la nécessité d’une construction commune d’une Communauté internationale où la guerre serait «une chose du passé », j’ai pensé à d’autres lectures auxquelles l’étudiant Paul Biya a dû être soumis pendant ses années de formation en Sciences politiques, ou qu’il s’est imposées :«Le Prince » de Machiavel, le «Contrat social » de Jean-Jacques Rousseau, «De l’esprit des lois » de Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, et surtout le « Traité de paix perpétuelle » d’Emmanuel Kant, où le philosophe de Konigsberg présente la paix entre les Nations comme une exigence de la raison pratique ; c’est également le même penseur qui théorise sur le devoir, pour les dirigeants du Monde, de mettre sur pied une communauté amphictyonique, une République cosmopolitique ou œcuménique, dans laquelle seraient unis les différents États du Monde.

C’est cet auteur, également, qui définit la Terre, lieu de résidence de tous les hommes, comme un espace plein, de forme sphérique, où chacun est partout chez soi et peut circuler à l’infini, dont tous les points sont interconnectés ou virtuellement interconnectables ; en sorte que le désordre fomenté en un point quelconque de cet espace commun est susceptible de se propager sur tous les autres points de l’espace ; chaque infection pathologique, chaque endémie, chaque pandémie, de cause imminente ou anthropique et criminelle, est susceptible de s’universaliser, de se «mondialiser». Aucune personne ne peut dire à son semblable, quelle que soit la différence des races ou des nationalités :«Nous ne nous retrouverons nulle part dans le monde » : on n’est donc jamais trop loin d’un pays où le désordre s’est déclaré, jamais à l’abri d’un désordre qu’on a provoqué «loin de chez soi »; les notions de distance, d’espace et de temps sont ainsi relativisées. L’analyse de Kant , reprise implicitement par Paul Biya, rappelle la théorie de la propagation thermique dans les solides : la chaleur se propage sur toute la surface de la barre de fer chauffée en un point, parce que tous les points en sont interconnectés, par effet de contagion capillaire.


C’est cette grande leçon que Paul Biya, à l’occasion du Quatre-vingtième anniversaire du Débarquement de Provence, administre aux « Grands » du Monde. Il dénonce le caractère asymétrique du Contrat international dans lequel les différentes nations sont liées ; il plaide pour le respect de la diversité des cultures, qui n’a pas empêché, de 1939 à 1945, que les Africains fraternisent avec les Européens dans les tranchées ou sur les champs de bataille. Devant la mort, comme devant les lois, tout le monde est égal. Il devrait aussi en être ainsi des Nations : toutes sont égales en dignité et en droits autant qu’en devoirs. Il invite les Occidentaux infatués à plus d’humilité, à reconnaître que leur civilisation n’est pas «la» Civilisation, que leurs valeurs, par exemple l’homosexualité et la polygamophobie, ne représentent pas «les» Valeurs auxquelles le Monde doit se soumettre ou aspirer ; il dénonce «l’instrumentalisation des Droits de l’Homme».

Il souligne surtout que les institutions internationales mises en place après la fin de la Deuxième guerre mondiale «sont perfectibles », donc imparfaites en tant qu’œuvre humaine — OTAN, UNESCO, Cour pénale internationale, Cour internationale de justice, Organisation mondiale de la Santé. Il enjoint «les Grands» ou la soi-disant «Communauté internationale » de réviser leur arsenal de concepts géopolitiques , de catégories et de schèmes politiques, de les réajuster, de les réajuster, car ils ne correspondent plus à la réalité géopolitique et géostratégique de l’heure.
Et si la solution du “Contrat international” venait du Cameroun, pays dont le Chef d’État se présente humblement comme «un mendiant de la paix », et d’où est partie en 1940 la colonne Leclerc, outil armé de la Libération de la France, et dont l’épopée est rappelée dans le Discours ?

Le Président Paul Biya, par sa culture et la pertinence de son discours, a fait réfléchir ses pairs d’Occident et des pays invités. Car il a proposé une alternative à la rhétorique guerrière à laquelle on s’est habitué, au langage va-t-en-guerre d’Ursula Von der Leyen, de Joe Biden, de Joseph Borrel, de Jens Stoltenberg, d’Emmanuel Macron à propos du conflit de la Russie contre l’OTAN en Ukraine.


Je m’excuse pour cette comparaison : Joe Biden, de dix ans le cadet de Paul Biya, n’aurait pas été capable de cette performance oratoire, de cette lucidité. À vrai dire, peu de personnalités invitées en auraient été capables. Lui a-t-on écrit ce plaidoyer ? C’est-à-dire, lisait-il un texte de Conseiller ? C’est son style, en tout cas, et je ne vois pas qui l’aurait imité avec une telle perfection. D’ailleurs, le style, par définition, est inimitable. Et si d’aventure une personne de cet âge lit un texte qui n’est pas de son cru, c’est avec des hésitations et des trébuchements coupables immédiatement perceptibles.

La lecture est d’un homme lucide , maître de soi et de son texte. C’est également sa culture de lecteur et de témoin de l’histoire, d’acteur politique de très longue date, qui transparaît ici. Les auditeurs, sans doute, n’en reviennent pas : en le regardant s’assoir, ils doivent se demander de quelle farine est fait cet homme qui vient, malgré son âge avancé, de leur faire une leçon magistrale d’histoire, de géopolitique et de géostratégie. Ils se demandent sans doute s’il est avantagé par la nature, s’il a rentabilisé à son propre profit des recettes tirées de l’immense richesse biologique de la faune équatoriale.

Maurice Druon, dans «Alexandre le Grand ou Le roman d’un dieu », parlant d’Alexandre le Grand et de son frère Arrhidée, un infirme mental, fils d’une concubine de Philippe de Macédoine, fait dire à Aristandre de Telmessos, devin de la Cour de Pella, qu’il y a des recettes pour aiguiser et solidifier l’esprit, ce dont Alexandre avait bénéficié, ou pour l’engourdir jusqu’à l’imbécillité, ce qui fut pratiqué sur Arrhidée; on avait détecté très tôt Arrhidée comme un concurrent potentiel et dangereux d’Alexandre: on lui fit, dès le berceau, consommer certaines drogues savamment préparées. Quoi qu’il en soit, ceux qui regardent le vieil homme s’asseyant ont bien été obligés de réviser à la hausse leurs opinions sur lui si jamais ils l’avaient sous-estimé.


Après l’avoir écouté et observé à plusieurs reprises, j’ai pensé à deux analogies animalières : au Lion et à l’Albatros. La première est de Nicolas Machiavel ; la seconde est de Charles Baudelaire. La première symbolise l’homme d’État, et la seconde, le poète selon l’auteur lui-même, et le penseur, l’analyste politique, l’intellectuel, d’après moi. Autrement dit, ce qu’affirme Baudelaire au sujet du poète, on peut également le dire s’agissant du penseur. La première analogie est associée à celle du Renard. Curieusement, le mot «mvondo», nom du père de Biya bí Mvondo, en fang, on l’ignore, signifie au départ «le Lion»; on en a des variantes :«mbono» en itón ; on dit :«mbono metònö», c’est-à-dire «le lion tâcheté », qui correspond au latin «leo pardus», pour ne pas dire directement :«ze», la panthère, ce qu’on croit dangereux pendant la chasse. En bassa, on dit :«mbondo». Quoi qu’il en soit, chez Machiavel, les deux fauves, le plus gros et le plus puissant, le Lion, et le plus rusé, le Renard, sont censés incarner les deux qualités dont un Prince avisé doit faire montre : la Force et la Ruse («Le Prince », chapitre XVIII):
«Puis donc qu’un prince est obligé de savoir bien user de la bête, il doit parmi elles prendre le renard et le lion, car le lion ne se défend pas des rets, le renard ne se défend pas des loups. Il faut donc être renard pour connaître les rets et lion pour effrayer les loups. Ceux qui s’en tiennent uniquement au lion n’y entendent rien ».


Ces deux qualités, en politique, sont complémentaires : la force sans le droit est aveugle, et le droit sans la force, vide. L’Albatros, en revanche, l’intellectuel ou l’analyste politique, est «le prince des nuées»: à l’aise dans les concepts, il est maladroit “sur terre”, dans la pratique ; s’il n’est armé que de ses concepts, sans expérience, comme un caucher de Kepler le lui avait reproché parce qui voulait s’orienter sur une étoile la nuit, on pourrait bien lui dire :«Vous êtes un savant, mais ici sur terre, vous n’êtes qu’un nigaud» — l’annecdote est rapportée par Kant ; on pourrait reprendre les mots de Baudelaire :«Ses ailes de géant l’empêchent de marcher».
Mais il n’y a pas, Machiavel l’a montré, d’incompatibilité entre les qualités félines et de canidé d’une part, donc les qualités de Fauve, les qualités d’acteur politique ou d’homme d’État en somme, et celles de grand planeur d’autre part, autrement dit d’analyste politique, de géopolitologue et de géostratège pour tout dire.

Un grand acteur politique, un «grand homme » comme le général de Gaulle, incarnait à merveille ces deux qualités. Ce que nous enseigne l’événement du Quatre-vingtième anniversaire du Débarquement de Provence, c’est que le «grand homme », plus précisément le Lion rusé, ne vieillit pas. Il n’est pas, comme le Lion de Jean de la Fontaine, sujet au coup de pied de l’Âne : battu par ceux qui tremblaient d’habitude au moindre de ses rugissements — le Cheval, le Loup, le Bœuf–, le Lion, vieilli, se couche, résigné, stoïque, tel le Loup d’Alfred de Vigny:
«Le Lion , terreur des forêts, chargé d’ans et pleurant son antique prouesse, fut enfin attaqué par ses propres sujets. Rendus forts par sa propre faiblesse, le Cheval, s’approchant, lui donne un coup de pied, le Loup un coup de dent, le Bœuf un coup de corne.

Le malheureux Lion, languissant, triste et morne, peut à peine rugir, par l’âge estropié. Il attend son destin sans faire aucune plainte. Et quand, voyant l’Âne-même à son tour accourir :”Ah, c’est trop ! lui dit-il. Je voulais bien mourir, mais c’est mourir deux fois que souffrir tes atteintes”».
La vedette de Saint-Raphaël n’ a pas prononcé un discours de mourant, de sommeilleux ; c’est Gayndé, le Lion de Birago Diop dans «Bouki pensionnaire », un des contes d’Amadou Koumba. Ce conte politique a droit à toute notre attention. Les enfants du Roi l’avertissaient souvent que l’Intendant de la Cour, Bouki la Hyène jadis recrutée par pitié par le Roi le Lion en un temps de grande disette, disons de crise économique, essayait ses royales sandales en son absence, et qu’elles lui allaient bien ; ils avaient la même pointure.

Bouki pourrait donc, dès la première occasion, s’approprier les sandales du Lion, et se débarrasser le moment venu de son royal bienfaiteur. Le Lion tendit un piège à l’Intendant de la Cour : rentré d’une partie de chasse qui fut fructueuse avec trois gibiers d’importance inégale, Gayndé demanda à Bouki de procéder au partage du butin du jour ; et celle-ci commit l’indélicatesse de choisir pour elle-même le deuxième gibier le plus important d’une chasse qu’elle n’avait pas organisée, et à laquelle elle n’avait pas davantage pris part.

La sentence fut immédiate et foudroyante, sans appel ni renvoi : le Lion, d’une gifle rageuse, exécuta le ministre encombrant. Car, et le Lion le savait, le sait, il n’y a pas deux rois dans un même royaume, deux coqs dans une même basse-cour ; un ministre qui travaille pour son propre compte, et non comme un chargé de mission de la République, est une personne ingrate vis-à-vis de qui l’a nommé, un traître à la Patrie, un renégat, un ennemi du peuple souverain, donc de la République :« Bedjóm bē kú bēba bá há tē lòng á ntsëng memmògò/ Deux coqs ne chantent pas dans la même cour». C’est une autre manière de parler de la profanation de l’État, de sa désacralisation. Car, l’État est sacré : « Il faut vénérer l’État comme un divin terrestre », dit Hegel dans les «Principes de la philosophie du droit ».


C’est cette baffe de Lion excédé qui manque en ce moment au Cameroun, où la Cour du Roi Pétaud n’a que trop duré. Bouki ne peut pas impunément continuer à essayer les sandales de Gayndé. Dans un même pays, autrement dit, il n’y a pas deux États ; et dans un même État, il n’y a pas deux pouvoirs exécutifs, deux Chefs d’État : «la délégation de signature» n’est qu’une délégation, ce qui n’implique pas un abandon ou un partage du pouvoir comme certains le croient. Celui qui bénéficie d’une telle «délégation» ne devient pas pour autant un collègue du Chef de l’État, à la manière dont les deux Consuls, à Rome, du temps de la République, gouvernaient collégialement la Cité, chacun ayant son jour de gouvernance.

L’État , en d’autres termes, n’est pas une institution polyandrique, comme une femme qui serait au service deux époux au foyer. César avait pour «collègue» Bibulus, un magistrat sans relief. Cette année consulaire aurait donc dû, d’après l’usage constitutionnel de la Cité, être appelée «l’Année de César et de Bibulus»; on l’appela plutôt ironiquement :«L’Année de Jules et de César », tant l’auteur du «De bello Galico » avait, par son charisme et son caractère qui ne toléraient pas de partager quoi que ce fût avec quiconque, dominé et éclipsé son collègue Bibulus. C’est que César avait, lui, un sens pertinent de ce qu’est un État, et de ce que sont les responsabilités d’un Chef d’État : il n’y a pas deux responsables d’un même État.


Quand on a l’impression que le Pouvoir de l’État est partagé de manière collégiale par deux gestionnaires, il y en a forcément un qui est alors un usurpateur ; et le détenteur légal et légitime du Pouvoir est tenu au devoir de mettre fin à l’usurpation. Cela, le Lion, Mvondo ou Gayndé, ne saurait l’ignorer, ne l’ignore pas. Car, un Prince avisé, ici Biya bí Mvondo, est «un cerveau de première classe » comme dirait Machiavel ; et c’est à la qualité des cerveaux dont il s’entoure qu’on juge le sien propre. Or, on ne peut pas ne pas se pencher, pour y réfléchir, sur les situations, entre autres, de Nkoltomo 2 ou du Nkoltomogate, et des Cantons de Bassa Ndog-Kama et celui de Bassa-Wouri, sans éprouver le sentiment que le Cameroun est devenu une cour où chèvres— «capellae»— et boucs—«Hirci»— portent pareillement une barbe au menton, comme dans une fable latine de Phèdre. Une vidéo montre que, dans les deux Cantons ci-dessus cités, Monsieur le Ministre Paul Atanga Nji a créé une Chefferie traditionnelle sur les terres coutumières des Bassa-Ndog-Kama, et cela en vue de satisfaire la mégalomanie d’une grande personnalité du Pays, dans la perspective de la création des villes de la MAETUR. Monsieur le Ministre Paul Atanga Nji veut faire cadeau d’une ville à un ami, comme on fait cadeau d’une chemise à un ami, ou d’un jouet à un enfant qu’on aime bien.

C’est la même situation que j’ ai appelée «Nkoltomogate » dans mon village natal, Nkoltomo 2, et dans mon arrondissement natal, Obala, où le même Ministre Paul Atanga Nji a fait créer, par le Préfet Patrick Simu Kamsu interposé— le Proconsul de la Lékié—, un pseudo-village baptisé «Nkol Ebay », prétendument de l’arrondissement de Sa’a ; il s’ensuit qu’un arrêté préfectoral a ici la prétention démesurée d’annuler et d’avoir annulé un décret présidentiel ; car la limite entre ces deux arrondissements à cet endroit a été fixée, non pas même par un seul décret présidentiel, ce qui était déjà suffisant pour que cette forfaiture n’eût pas lieu, mais par trois décrets d’autant de Chefs d’État : un par Monsieur le Premier Ministre André-Marie Mbida, Chef de l’État autonome du Cameroun, le 14 décembre 1957 ; un par Monsieur Ahmadou Ahidjo, Président de la République fédérale du Cameroun, le 20 juin 1964 ; un par Monsieur Paul Biya, Président de la République du Cameroun, le 25 novembre 1993.


Le Cameroun a ainsi pris l’allure administrative d’un pays sans État, d’un pays dont chaque baron, en fonction de sa force, c’est-à-dire de son pouvoir d’achat, peut se tailler un morceau ; le Cameroun paraît, autrement dit, avoir sombré dans l’état de nature. Il donne l’impression d’avoir rétrogradé dans ses institutions, d’être retombé dans un état de féodalité, avec des Baronnies, quelque chose qui est inadmissible et inimaginable autant qu’intolérable dans un État moderne, et donc de droit, c’est-à-dire dans une République: le Ministre Paul Atanga Nji, par l’entremise du Préfet Patrick Simu Kamsu, comme si les prérogatives de Chef d’État et de Président de la République comptaient à peine autant que du papier hygiénique usé après la satisfaction des besoins dans une salle des toilettes, a pris sur lui de diminuer la superficie d’Obala au profit de celle de Sa’a, et donc d’augmenter celle de Sa’a au détriment de celle d’Obala ; il a fait installer à Nkoltomo 2, dans l’arrondissement d’Obala, avec ce jour-là à l’appui une impressionnante garde prétorienne de gendarmes et de policiers de quatre arrondissements, un «chef de troisième degré» d’un village créé pour le compte de l’arrondissement de Sa’a.

Et enfin, en conséquence de ce laisser-aller administratif, pour le remplacement du Chef traditionnel du village de Nkoltomo 2 décédé, le Chef du Groupement Mbóg-Ndzom de Loua 1, Marc Modo Éwodo, a lancé un appel d’offre à tout candidat : ignorant ses prérogatives, il a déclaré qu’il est prêt à accorder le Trône au prétendant à même de l’acheter à 300000 francs, «prix taxé» et donc négociable. Mesure-t-on donc ainsi l’abîme dans lequel on est tombé ?
Le Président de la République a assez de hauteur et de lucidité pour dénoncer la situation de contrat de dupes qui prévaut dans les relations internationales ; par la présente contribution, je sollicite sa haute attention sur la situation irrégulière et révoltante qui règne dans le Pays ; le texte ci-après de Rousseau peut à ce titre être rappelé ; il y apparaît que des collaborateurs malveillants ont pratiquement conduit le Pays à un niveau qui rappelle à plus d’un titre un retour à l’état de nature :
« Je suppose les hommes rendus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans l’état de nature l’emportent, par leurs résistances, sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister, et le genre humain périrait s’il ne changeait de manière d’être ».


L’état de nature ou d’anomie, c’est-à-dire d’absence des lois ou d’absence d’application des lois, est ainsi porteur de risques d’explosion sociale. C’est pourquoi j’ai parlé, pour ce qui concerne Nkoltomo 2, d’un Axe de la Conjuration dont le Nkoltomogate est un échantillon, avec ce que cette notion d’échantillon implique d’idée de représentativité, un Axe dont les principaux responsables ou Conjurés, à Nkoltomo 2, sont messieurs Adolphe Noah Ndongo, Directeur général de la Caisse autonome d’amortissement, Patrick Simu Kamsu, Préfet ou «Proconsul» de la Lékié où il continue à patronner depuis bientôt treize ans qu’a eu lieu sa mise à la retraite, Paul Atanga Nji, Ministre de l’Administration territoriale, et, au-dessus sans doute, un haut protecteur, un «sponsor», Catilina, dirait-on, qui tire les ficelles dans l’ombre, détenteur d’un pouvoir alternatif lui permettant de placer ses propres pions à des postes importants au sein des appareils de l’État ; Nkoltomogate, autrement dit, est la vitrine d’un coup d’État en préparation dans le Pays, et ce n’est pas moins vrai de la situation qui prévaut dans les Cantons Bassa ci-dessus évoqués, et à d’autres endroits dans la République.

Joseph Ndzomo-Molé, Nkoltomo 2, le 26 août 2024.

Joseph Ndzomo-Molé, Nkoltomo 2, le 26 août 2024.
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